vendredi 27 avril 2018

Histoire sans paroles (27)


L'antique serre, le vivant potager et le château de La Bussière, dans le Loiret. 
Pour lire l’heure sur le clocher de la tour d’entrée, ou tenter de déchiffrer l’aphorisme (de comptoir) attribué à un pape et certainement apocryphe, sur l’ardoise devant la serre, cliquez sur l’image panoramique en grand format (9000 x 3045 pixels) et zoomez...

vendredi 20 avril 2018

La vie des cimetières (80)

Il y a diverses manières de disposer les morts, déterminées par le degré de disponibilité des ressources nécessaires au rituel funéraire.
La manière la plus courante est la juxtaposition des corps sur un plan à peu près horizontal, distribués uniformément, à l’exception des personnalités importantes de leur vivant, qui bénéficient d’emplacements particuliers. C’est le cimetière traditionnel de nos contrées, urbaines ou rurales.
Quand le bois est rare et le sol rocheux ou perpétuellement gelé, comme au Tibet, les dépouilles sont confiées aux animaux charognards, oiseaux ou poissons. Quand flambent les prix du terrain urbain ou agricole, comme en Chine, l’État fait la promotion autoritaire de l’incinération et pratique des exhumations massives qui libèrent de l'espace.

Et parfois, quand le sol émerge si abruptement, grimpant de tous côtés comme dans les iles volcaniques, que la moindre parcelle de sol horizontale est réservée à l’agriculture, alors l’humain invente la sépulture verticale.
Les guides touristiques affirment que les cercueils accrochés aux parois de la montagne de la région de Sagada, dans la cordillère du nord de l’ile de Luçon, méritent d’être dans la liste des 15 attractions à ne pas manquer lorsqu’on visite les Philippines.
Ils racontent que le vieillard creuse lui-même son cercueil, trop court, dans un tronc d’arbre, que son cadavre est fumé afin d’en ralentir la décomposition, qu’on l’expose quelques jours assis sur une chaise, dehors, avant de lui briser les os pour le faire entrer dans le petit cercueil qu’on a ficelé sur des pieux fichés dans le roc. Les liquides qui s’en écoulent porteraient bonheur.

En réalité sur place le touriste déchantera. Après neuf heures d’une épuisante excursion en bus, il déboursera un montant, qu’il jugera rétrospectivement déraisonnable, pour payer un guide obligatoire et laconique qui l’aura emmené, au bout d’un court sentier parsemé d’autres touristes, devant une paroi rocheuse où sont accrochés, quelques mètres au-dessus du sol, à peine abrités des intempéries, 18 cercueils disparates et deux chaises.
Les moins éreintés découvriront parfois, en escaladant les alentours, au fond d’un ravin ou d’une crevasse, quelques cercueils entassés, fracassés et déversant leur contenu depuis longtemps blanchi, ou, à 2 km au sud, la grotte de Lamiang qui abrite en empilements chaotiques une centaine de petits cercueils poussiéreux parfois éventrés.
Car les coutumes funéraires semblent mortes à Sagada et si, pour retenir le touriste, on débroussaille de temps en temps les abords de la falaise mortuaire, et on replace parfois un crâne qui a roulé sous l’effet du vent, il y a bien longtemps qu’on enterre les nouveaux morts dans le cimetière tout proche, au milieu du gazon sous de jolies stèles ou des dalles immaculées.

L'amateur de sensations macabres averti, mieux informé, aura abordé non loin, sur le même méridien, l’ile de Sulawesi en Indonésie. Là, il aura trouvé dans le pays des Torajas, très vivaces et populaires, des traditions funéraires plus exotiques encore. Et il y aura pris part.

Il aura admiré ces caveaux familiaux creusés haut dans la paroi rocheuse, entourés de balcons peuplés de grandes poupées colorées à l’effigie des morts et qui regardent de leurs yeux grand ouverts leur famille en contrebas.
Il aura vu ces arbres dans le tronc desquels on a enfermé les enfants morts jeunes et qui sont maintenant incorporés dans le bois.
Il aura photographié ces morts qu’on sort périodiquement de leur repos et qu’on promène dans les rues après les avoir nettoyés et rhabillés, sorte de maintenance trisannuelle du cercueil et de son contenu.
Il aura feint la déférence devant un cadavre pomponné et imbibé de formol dont la famille avait attendu depuis des années d’avoir suffisamment économisé pour organiser des obsèques fastueuses.
Enfin, lors de cette grande cérémonie, faite de trois jours de spectacles, de danses, de festins et de rires, entouré de centaines de villageois voisins et de touristes avinés, il aura restitué inopinément plusieurs repas en assistant à l’égorgement sacrificiel et nourricier de dizaines de buffles et de porcs hurlant.

Si le tourisme en Indonésie a subi nombre d’aléas funestes depuis 40 ans, dictature, corruption à tous les étages, exactions militaires et policières, terrorisme religieux, attentats, carnages, conflits ethniques, tsunamis, éruptions volcaniques, crise financière et économique, il n’a néanmoins pas cessé de croitre et il est devenu une plaie convoitée et courtisée, comme dans tous les pays qu’il envahit et pervertit. Simulacres de traditions contre frites et Coca-cola.



Détails de photos prises dans le pays des Torajas (Sulawesi ou Célèbes du sud) par des vacanciers et récoltées sur internet. Le noir et blanc n’est pas un effet de leur âge (elles sont récentes), c’est un subterfuge destiné à les rendre plus digestes.

Petit rappel au voyageur : un Indonésien était, jusqu'en 2012 encore, obligé de déclarer une croyance, parmi les 6 religions constitutionnelles, qui était inscrite sur sa carte d’identité et lui conférait certains droits. Alors il est conseillé, même pour un étranger, de cacher son scepticisme mécréant derrière la façade d'un œcuménisme bienveillant, de préférence monothéiste, et tout se passera bien.

lundi 9 avril 2018

Tableaux singuliers (9)


C’était pendant le siècle d’or néerlandais, le 17ème. Le commerce était si florissant que tout le monde s’était mis à aimer les tulipes et la peinture. On dépensait ses bénéfices en accrochant dans son intérieur propret des tableaux de Rembrandt, Hals, Vermeer, Cuyp, Claesz, Ruisdael. Les peintres n’arrêtaient plus. C’était l’âge d’or.

Par souci de rentabilité, ou peut-être sous l’effet d’une inspiration artistique iconoclaste, naissait autour de la prospère Haarlem, près d’Amsterdam, un courant pictural qui abandonnait les scènes spectaculaires et les paysages soigneusement historiés et inventait le paysage naturaliste, l’instantané en peinture.
Les nouvelles règles étaient simples, les couleurs faites le plus souvent de bistre, de jaune et de gris (on l’appelle parfois peinture « tonale, ou monochrome »), en couches liquides et légères. Deux tiers ou trois quarts du tableau étaient consacrés au ciel, gris, animé, et le reste était du sable, de la terre ou de l’eau.
Pas d’histoire, pas d’anecdote, on ne représentait que ce qu’on avait devant les yeux.
Parfois, d’un pinceau cursif, la silhouette d’un arbre traversait l’image, et des petits personnages éloignés passaient, s’affairaient, discutaient, sans se soucier du peintre. D’ailleurs le peintre ne les figurait que parce qu’ils étaient ici, à cette heure précise.

C’était une peinture sans symboles, sans arrière-pensée, alerte et économique. Une sorte de révolution impressionniste avant l’heure.
Sans chercher à savoir qui fut le premier, les plus appréciés et donc les plus productifs et prospères se nommaient Pieter de Molyn, Jan van Goyen et Salomon van Ruysdael. Et les musées aujourd’hui encore en hébergent quantité, car ils ont beaucoup produit.

Dans la banalité des moments représentés, Salomon van Ruysdael était peut-être le plus « original », comme dans ce Marché en bord de mer du Metropolitan museum de New York, ou dans cette merveille en illustration ci-dessus, de la collection du musée Norton Simon près de Los Angeles.
Ruysdael y donne l’impression de s’être débarrassé de toute intention, pour ne laisser que l’accidentel, comme si l’appareil photo s’était déclenché fortuitement en tombant sur le sol.

La vogue de ces petits paysages animés apparemment insignifiants durera trente ans, de 1620 à 1650, après quoi on ne retrouvera plus vraiment une telle nonchalance désabusée dans la peinture figurative (*).
Très vite les lumières de la peinture spectaculaire éclabousseront toute cette grisaille.
Poussin calculera avec exactitude la position de chaque feuille d’arbre dans ses grands paysages classiques, et le propre neveu de Ruysdael, le « grand Jacob van Ruisdael », comme dit le Larousse des grands peintres dans son article sur Salomon pour marquer qu’ils n’étaient pas du même rang, obtiendra une renommée appréciable pour ses paysages impressionnants qui préfigurent déjà les émois pathétiques d’un romantisme encore lointain.

Salomon lui-même, dans ses 20 dernières années, devenu directeur de la guilde des peintres de Haarlem, se rapprochera résolument du style classique et équilibré de son neveu.

 (*) Peut-être, 3 siècles plus tard, en trouvera-t-on un écho dans les temperas méticuleuses d'Andrew Wyeth.

Salomon van Ruysdael, paysage avec du ciel, du sable et des personnages nonchalants, 1628, détail (Norton Simon museum, Pasadena)

dimanche 1 avril 2018

Fouilles virtuelles à Helsinki


Sur les lieux d'une fouille, un archéologue extrait nombre de petits objets historiques, sans attrait pour le profane, et parfois, très rarement, un bijou, un pépite.
C’est l’expérience que vivra le fouineur de musées électroniques en explorant les collections de la Galerie nationale finlandaise, ouverte depuis peu. Le musée physique se trouve à Helsinki, engourdi à 6° seulement du cercle arctique.

La Galerie virtuelle affiche, sur 40 000 œuvres, environ 20 000 reproductions d’une qualité honorable, dont 12 000, signalées, sont libres pour toute utilisation même commerciale, puisque les originaux sont dans le domaine public.
Les modes de recherche sont nombreux, en finlandais, suédois ou anglais, par technique, par époque, par artiste, avec des vignettes qui rendent l’exploration rapide et plutôt agréable, éloignant l’ennui.

Le plaisir étant dans la découverte de pépites, en voici quelques unes. À vous de trouver les autres, sans oublier les artistes avec des Å, des Ä et des Ö.

Les reproductions sont des détails des œuvres, dans l’ordre de lecture : 
En haut : Debucourt (le feu), Edelfelt (jeune femme lisant) 
Au centre : Simberg (portrait d’homme), Edelfelt (portrait de femme), Félon (nymphes), Edelfelt (portrait d’homme) 
En bas : Järnefelt (brulage), Aivazovsky (photomontage, autoportrait avec paysage peint à l’huile), Simberg (jardin de la mort), Schjerfbeck (femme assise).