lundi 4 septembre 2017

L'Angélus de Portbail



L’attirance vers les épaves de bateaux est sans doute un penchant universel. Leurs carcasses décharnées ne devraient évoquer que la tristesse, la solitude des cimetières, or on distingue dans le regard de qui les approche un mélange de compassion et d’admiration, et un peu de la mélancolie des rêves de voyage inassouvis.

Mais la puissance publique craint en permanence d’être jugée responsable si un jour un enfant qui a joué près d’une épave est retrouvé grimaçant et fiévreux, divaguant dans les dunes, animé de grands gestes tétaniques et luisant de sa propre bave.
Alors elle s’en décharge à grand renfort d’injonctions administratives avec accusé de réception, en réclamant régulièrement aux propriétaires la destruction de leurs épaves.

Ainsi le riche littoral breton a vu disparaitre, lentement, depuis 20 à 30 ans, nombre de bateaux en ruines qui se désagrégeaient sur ses estrans et dans ses estuaires. Lentement, car tous les subterfuges sont bons pour faire retarder la fatale échéance administrative, et les frais inhérents.


L’histoire de l’Angélus de Portbail est exemplaire.

De son vivant, il était chalutier de bois de 40 tonneaux (113 mètres cubes) et près de 17 mètres. Usé par 42 ans de pêche et d’activités moins nobles, il était acheté en 1995 par un passionné qui avait rêvé de le remettre en état mais n’en eut pas les moyens et l’échoua peu après dans le havre de Portbail, au nord-ouest du Cotentin.

Dix ans plus tard, en septembre 2007, la Direction des affaires maritimes demandait l’enlèvement de l’épave qui « présentait un danger pour les usagers de l’estran ». Le propriétaire gagnait alors un peu de temps en le « sécurisant », enlevant le pont effondré et quelques clous, et surtout en créant une association de défense de l’épave, un site internet, et en sollicitant auprès de la Fondation du patrimoine maritime et fluvial le label de « Bateau d’intérêt patrimonial, B.I.P.», qu’il obtint promptement, ce qui préserva l’épave jusqu’au 31 décembre 2011, protection prolongée depuis jusqu’à fin 2016.

À l’époque déjà le bateau n’était plus qu’un squelette, mais c’était devenu une des attractions les plus pittoresques du site de Porbail.
De l’épave, on admirait la perspective du pont « au 13 arches » qui enjambent le havre, prolongée par l’hôtel restaurant homonyme surplombé par les formes épurées de la curieuse église Notre-Dame.
C’était le décor des photos de mariage et des cartes postales de l’Office de tourisme, le motif favori des photographes amateurs ou professionnels de la région et de leurs sites sur internet.



De nos jours le décor a peu changé. Le bateau, devenu une ruine officielle, un zombie estampillé, s’émiette un peu plus à chaque marée et à chaque averse. La baleine bleue peinte sur son flanc bâbord est maintenant presque effacée. Les sites internet des photographes, désuets, s’affichent laborieusement par absence d’entretien. Le portail de l’association de défense de l’épave est inactif depuis deux ans. Le label B.I.P. n’a pas été renouvelé.

Il est temps qu’un nouveau bateau, désaffecté, s’échoue dans le havre, et présente durablement au spectateur un flanc aux couleurs encore vives, artistiquement disposé. L’Etacq de Cherbourg, petite épave peinte de rouge, déjà sur place à 147 mètres au sud-sud-ouest de l’Angélus, ferait l’affaire, s'il avait l’envergure d’un successeur.

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