dimanche 22 février 2015

Made in China

Tout conservateur de musée soucieux de la protection du patrimoine qu'il administre a certainement un jour eu cette idée iconoclaste, qu'il aura aussitôt refoulée : remplacer tous les tableaux en exposition par des copies.

Et bien c’est ce qu’expérimente depuis le 10 février et jusqu’au 26 avril le musée de Dulwich (Dulwich Picture Gallery) dans le sud de Londres, sous l'impulsion de l'artiste conceptuel Doug Fishbone (un artiste conceptuel est un être humain qui a des idées - au moins une - et au moins un talent, celui de savoir faire réaliser ses idées par d'autres).

En fait, un seul des tableaux exposés à Dulwich est une copie, réalisée sur commande par un atelier chinois (il en existe des centaines), contre 160 euros. Reçue par la poste elle est aujourd'hui exposée à la place du tableau original et dans son cadre ancien.
Le public et les experts sont invités à l'identifier parmi les 270 tableaux du musée, et gagner, pour ceux qui le découvriront, une reproduction (imprimée cette fois) d’une œuvre de la collection.

L’idée est de mettre en question les ingrédients qui constituent la valeur qu’on attribue aux choses, le décorum de la visite, l’autorité du musée, le fétichisme attaché au nom de l’artiste…
Elle rappelle l’expérience récente où des musiciens professionnels devaient juger à l’aveugle, au jeu et à l’écoute, des violons modernes et des Stradivarius mythiques. Les résultats étaient édifiants.

Et la collection de Dulwich est prédisposée à ce type de jeu de devinettes. Assemblés au 18ème siècle pour le roi de Pologne, ses tableaux achetés un peu vite se sont révélés en majorité des copies, des pastiches, des « atelier de », ou « dans le style de ».
Ainsi, il est bien possible que le penchant de Fishbone pour la plaisanterie l’ait conduit, pour le plaisir de la mise en abyme, à commander aux chinois la copie d’une copie, ou au moins d’une toile à l’authenticité douteuse.

Enfin, les deux tableaux seront juxtaposés le 28 avril prochain et exposés ainsi durant trois mois.
Que pourra-t-on en déduire si l’expérience « réussit », c’est-à-dire si d'ici là personne n’a trouvé la réplique chinoise ?


Han van Meegeren, portrait de femme à l’éventail à la manière de Gerard Ter Borch, vers 1930-40. Il trompa les plus grands experts et musées en peignant notamment des pastiches de Vermeer. Il dut avouer sa supercherie en 1945 afin de sauver sa tête, en prouvant qu’un tableau de Vermeer qu’il avait vendu au nazi Hermann Goering était en réalité de sa main.

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