mercredi 25 décembre 2013

La vie des cimetières (53)

C'est au cœur de l'ancien domaine colonial de la famille Mellon, devenu l'écomusée Union Estate, que furent enterrés les premiers habitants de l'ile de La Digue, dans l'archipel des Seychelles, au début du 19ème siècle.

Et je vis un cheval d'une couleur cadavérique, et celui qui le montait s'appelait la Mort, et le séjour des morts l'accompagnait. Le pouvoir leur fut donné sur le quart de la terre, pour faire périr les hommes par l'épée, par la famine, par la maladie, et par les bêtes sauvages.
(Apocalypse de Jean, 6-8)

Dans les antiques légendes moyen-orientales, une célèbre prophétie décrit la fin du Monde au moyen d'un agneau qui ouvre un parchemin scellé (la méthode précise n'est pas décrite) d'où sortent tout un tas de fléaux, notamment quatre cavaliers colorés qui apportent ruine et désolation.

Le récit est désordonné, chaotique, le soleil s'éteint, se rallume, les étoiles tombent comme des figues vertes, le ciel se retire comme un livre qu'on roule. Les iles s'enfuient. On a un peu de mal à comptabiliser les morts, les chiffres - assez incohérents - sont difficiles à interpréter.

Finalement tout semble s'arranger, car pour ceux qui lavent leurs vêtements et ne modifient pas les paroles de la prophétie l'eau de la vie sera gratuite, éternellement (on ne sait pas clairement s'il s'agit de gnôle ou d'une métaphore).

dimanche 22 décembre 2013

Les laquais


Depuis vingt ans, dans les pas du journaliste iconoclaste Pierre Carles et du sociologue Pierre Bourdieu, une poignée de confrères suicidaires venus de la presse écrite, de la radio, d'Internet nous (dé)montrent patiemment les connivences lucratives entre les journalistes les plus en vue, les patrons de presse marchands d'armes, de mode luxueuse et de béton, et les pouvoirs politiques de toutes obédiences, sans oublier les quelques « experts en tout », qui sont systématiquement invités par les premiers, qui s'abstiennent de préciser que lesdits experts sont rémunérés par les deuxièmes pour défendre en toute objectivité la politique des troisièmes, qui eux votent généreusement des lois qui protègent les intérêts des deuxièmes.
Et de convaincre le bon peuple décervelé qu'il va devoir souffrir encore, parce que les choses sont ainsi faites et qu'on n'y peut rien, pendant qu'eux, des premiers aux quatrièmes, engraissent à vue d’œil.
On en rit presque tant leurs ficelles sont grossières et leurs intentions transparentes.

Début 2012 sortait, sur ce thème, un film de Balbastre, Kergoat et Halimi, « Les nouveaux chiens de garde », d'après le livre de Serge Halimi écrit en 1997 et augmenté en 2005. Si la démonstration littéraire était énumérative et un peu fastidieuse, le film est limpide, percutant, effarant.
On rit d'amertume, parce qu'après vingt ans rien n'a changé, les mêmes maitres à penser prospères, les mêmes experts juchés sur leurs hautaines certitudes, qui n'ont pas vu venir la crise, nous administrent toujours la même potion purgative.

Le film ne passera probablement jamais à la télévision. Alors pour les fêtes de fin d'année, offrez-le sans compter autour de vous et puis, si ça n'est déjà fait, jetez votre télévision aux ordures.
Ou au moins regardez-le sur Internet où il est actuellement visible, ne serait-ce que pour déguster ce moment unique de la télévision (à 1h29'27"), le 21 avril 2009, la réaction imprévue d'un syndicaliste quand le présentateur du journal de 20h l'exhorte en direct à calmer ses camarades désespérés...

dimanche 15 décembre 2013

Magritte en Bretagne



Y a-t-il frisson plus délicieux que de contempler le spectacle d'une nature dont les lois sont transgressées ?

Le peintre belge René Magritte s'en était fait une spécialité.
Sur ses toiles, d'une figuration sobre et distante, on peut voir la nuit s'étendre sur des villes dont le ciel reste parfaitement diurne, on peut voir des nuages prendre la forme d'instruments sophistiqués, des déchirures dans un paysage champêtre épousant des silhouettes d'hommes à chapeau melon, et toutes sortes de choses pesantes qui flottent sans gravité dans des ciels où moutonnent des cumulus épars, comme dans ce « Château des Pyrénées » peint en 1959.

Ça s'appelle le Surréalisme. La raison fait semblant de perdre le contrôle et c'est la conscience d'un décalage avec la réalité qui procure un vertige. On sait bien que ça n'est pas vrai.
Jusqu'au jour où flânant le long d'un quelconque littoral, le badaud découvre des panneaux énigmatiques mettant en garde contre une menace dont la nature n'est pas précisée « Danger, nombreuses victimes ».
Par exemple à Saint-Guénolé dans le Finistère (illustration ci-dessous), on dit que c'est ici l'endroit exact choisi par Magritte en 1959 pour peindre le Château des Pyrénées (la géographie n'était pas son point fort).

Mais depuis lors, l'influence du courant surréaliste faiblissant, l'énorme rocher a fini par s'effondrer ensevelissant un important groupe de touristes qui piqueniquaient au bord de l'eau.
Les Bigoudens racontent qu'ils entendent encore, quand le vent s'insinue entre les débris du rocher, des hurlements plaintifs.

vendredi 6 décembre 2013

Impressions de Vic-sur-Seille

Vic-sur-Seille est un village lorrain, tranquille, près de Nancy.

Un temps capitale administrative de l’évêché de Metz, puis terre d'accueil de plusieurs ordres religieux, il connait son zénith, et le début de son déclin au cours du 17ème siècle.
Le peintre Georges de La Tour y nait en 1593, ne le quitte qu'en 1620 pour Lunéville, à vingt kilomètres, et y revient souvent.
Viennent la guerre de Trente Ans et ses dévastations, les épidémies de peste bubonique, et la Révolution française qui disperse ordres religieux et structures administratives. Les tableaux de La Tour sont éparpillés, ou détruits. Le peintre est oublié.

Puis Vic-sur-Seille s'éteint doucement.


En 1993 apparait en vente publique aux enchères une sorte de miracle, un tableau figurant saint Jean-Baptiste dans le désert, attribué sans conteste à La Tour, mais de thème et de forme tellement inattendus que les experts hésitent, puis le datent de la fin de la vie du peintre, vers 1650.

Après de romanesques péripéties politico-financières le tableau est préempté par l'État français pour constituer le cœur d'un musée Georges de La Tour dans son village natal.
Le musée ouvre finalement en 2003, et fait preuve, depuis, d'un étonnant dynamisme, comme le montre l'exposition actuelle « Saint Jérôme et Georges de La Tour ».


À Vic-sur-Seille il n'y a plus de gare rue de la Gare. On y trouve trois ponts sur la Seille, trois boulangeries, et une maison d'accueil spécialisée. Il y aurait même une rue Perdue. Le reste est à vendre.

Dans une petite pièce protégée du musée Georges de La Tour est accrochée une toile sombre et méditative. C'est l’œuvre d'un peintre qui n'avait plus rien à prouver, ni personne à séduire. Le dépouillement définitif.

Au-dehors la place Jeanne d'Arc est vide, la rue de l'Abattoir est déserte, le brouillard et le silence gagnent.