vendredi 29 mars 2013

Rebondissements

Tout va trop vite. La météo est si glaciale que l'équinoxe est passé sans se faire remarquer, et le printemps est là, quelque part, incognito. Cependant les évènements, indifférents aux conditions climatiques, continuent de se produire.
Habituellement, lorsqu'un évènement, une péripétie, vient enrichir ou infirmer le contenu d'une chronique passée du blog, un additif est aussitôt apporté, daté, à ladite chronique, sans qu'hélas l'abonné fidèle en soit prévenu autrement que par l'ajout du mot clef « Mise à jour ». (Existe-t-il un moyen de l'alerter ?)

Parfois ces rebondissements se précipitent en giboulée, comme en cette fin de mars.

Les serres d'Auteuil et leur jardin botanique, partiellement classés comme monuments historiques, et que le Maire de Paris cherche à brader au profit de la Fédération Française de Tennis pour agrandir le complexe de Rolland Garros, ont obtenu un sursis.
Le Tribunal Administratif de Paris vient d'annuler la décision de la ville. Le juge a considéré que certains éléments du dossier ont été négligemment dissimulés aux conseillers de la ville, et que le montant de la redevance due par la Fédération en échange de l'occupation du terrain pendant un siècle était curieusement bas.
La convention entre les parties doit être résiliée.

Mise à jour du 10 juin 2015 : après maints rebondissements et péripéties, la Mairesse de la ville de Paris, fortement appuyée par le Premier Ministre du moment et contre l'avis du Conseil de Paris, vient de signer les permis de construire lançant la destruction d'une partie des serres d'Auteuil au profit de la Fédération Française de Tennis et de son projet d'extension du stade de Rolland Garros.

Pendant ce temps aux antipodes, le maire de la ville de Namie, sept kilomètres au nord de la centrale nucléaire de Fukushima, dévastée par le tsunami le 11 mars 2011 puis abandonnée pour des siècles, a demandé que Google Street View envoie une voiture sans chauffeur sillonner la zone irradiée.
Ainsi ses 20 000 administrés déportés peuvent-ils se promener virtuellement dans les lieux où ils ont vécu et qu'ils ne reverront sans doute jamais, comme on feuillette des photos de vacances.

Namie, près de la centrale nucléaire de Fukushima, la banlieue de la ville morte est visitée par les voitures sans chauffeur de Google Street View.

Quant au sort de la jeune femme qui avait graffité (sans dommage) un coin du tableau « la Liberté... » de Delacroix, il devient de plus en plus sombre. Son patronyme commence par la lettre K comme le héros malheureux du roman de Kafka, le Procès.
Internée depuis bientôt deux mois dans l'hôpital psychiatrique de Saint-Venant, elle a la malchance de bénéficier d'une loi du 5 juillet 2011, alors très décriée, qui facilite la prolongation des internements arbitraires de personnes sans leur consentement (version démocratique du goulag).
Tous les recours lui ont été refusés. Aucune visite n'est autorisée, même familiale. Pire, malgré cet internement, le procureur de Béthune cherche à la faire déclarer pénalement responsable, ce qui serait un comble et certainement une victoire pour la Liberté.
Un comité de soutien de cette pauvresse s'est constitué. Il faut lire son point de vue qui se distingue par son calme des hurlements de la meute.

Et puis le score en visiteurs de l'exposition Dalí à Beaubourg est tombé. 790 000.
Il bat Edward Hopper d'une moustache. Hopper avait fait 784 000. Mais le Dalí de 2013 ne bat pas le Dalí de 1979 qui avait fait 840 000. Les contraintes de sécurité à l'époque étaient laxistes prétendent les organisateurs. Monet reste au sommet du podium avec ses 913 000.
Rappelons que ces scores ne reflètent pas la qualité des artistes ni des expositions mais sont la conséquence quasi directe du niveau de dépenses affectées au bourrage de crâne médiatique.

Enfin, qui aura aimé l'étrange tableau de Jacob Vrel (ou Vreel, ou Frell) présenté avec la collection Lugt au printemps 2012 aurait tout intérêt à se rendre à l'hôtel des ventes, 9 rue Drouot à Paris, très précisément le 9 avril entre 11h et 18h, ou le 10 entre 11h et 12h.
Le cabinet Fraysse et associés y expose avant la vente aux enchères de 14h, parmi la succession de Monsieur J.L., une rareté de Vrel, voisine du tableau de la collection Lugt.
Une femme en noir lit au centre d'une pièce vide. Au fond, derrière les carreaux sombres de la fenêtre, on distingue le visage fantomatique d'un enfant qui observe l'intérieur.
Estimé autour de 100 000 euros, c'est peut-être l'unique occasion de le voir, s'il est acheté par un particulier. En France, seul le Palais des beaux-arts de Lille expose un tableau de Jacob Vrel.

Mise à jour du 15 avril 2013 : estimé entre 80 000 et 120 000 euros, il a atteint 2 232 000 euros ! (1 800 000 aux enchères, plus la commission de 20% pour le commissaire-priseur qui avait si bien estimé la valeur du tableau et 4% de taxes diverses).

Détail du tableau de Jacob Vrel aux enchères du 10 avril à Drouot.

vendredi 22 mars 2013

Et le gagnant est...

Dalí, Phosphène de Laporte (détail) 1932
reproduction autorisée (photo. JFP 2013)

Il y a bien longtemps que la visite des grandes expositions médiatisées n'est plus faite de sérénité et de contemplation mais d'énervement et de frustration.

On se rappellera la rétrospective Claude Monet au Grand Palais, fin 2010. La Réunion des musées nationaux avait tout fait pour exploser le record du nombre de visiteurs, jusqu'au marathon des quatre derniers jours où l'exposition était permanente, jours et nuits.
Résultat, 913 000 visiteurs s'y étaient bousculés. Même la longue exposition Toutankhamon en 1967 était battue, relativement à sa durée (1 200 000 en six mois et demi, soit 738 000 en quatre mois).
Fin 2012, le Grand Palais lançait L'exposition Edward Hopper sur le même schéma triomphant. Mais mauvais temps, moindre renommée du peintre, ou martelage promotionnel moins réussi, il ne se trouva que 784 000 amateurs pour braver le froid et la promiscuité.

Grâce à Claude Monet, Le Grand Palais avait détrôné le Centre Pompidou (Beaubourg) titulaire du record (relatif) depuis 1979, avec les 840 000 entrées de la rétrospective Salvador Dalí.
Il fallait réagir. Et l'occasion était trop belle avec l'actuelle et grandiose exposition Dalí, présentée  dans le même musée 33 ans plus tard.
Après quelques semaines, le Centre décidait déjà de faire tous les jours nocturne jusqu'à 23 heures. Et aujourd'hui, la fin approchant, avec déjà plus de 800 000 entrées annoncées, il a déclenché le désormais traditionnel marathon non-stop. Quatre jours sans interruption.
Cela lui permettra probablement de battre son ancien record de 1979, mais pas celui de Claude Monet. Pour cela il faudrait dépasser 25 000 visiteurs par jour, objectif inaccessible, la moyenne actuelle, contrainte par les normes sécuritaires et commerciales, étant de 7 000 sur 12 heures (750 simultanés).
Mais le musée pourrait surprendre en prolongeant l'exposition.

L'alibi de cette compétition est toujours le même « Pour répondre à l’enthousiasme du public ». Cependant, à lire les descriptions horrifiées et les témoignages consternés des malheureux qui se sont trouvés prisonniers de la gestion absurde et inqualifiable des files d'attente du Centre Pompidou, on constate que le bien-être du spectateur et la sécurité des œuvres sont les derniers soucis des musées, loin derrière l'obsession du score.

Jusqu'au jour où...


Mise à jour du 29 mars 2013 : voir la chronique « Rebondissements »


mardi 19 mars 2013

Êtes-vous radiosensibles ?

Dampierre, près de chez vous...

Les cerisiers sont en fleurs dans la préfecture de Fukushima. Les reportages également fleurissent (1). C'est le deuxième anniversaire de la catastrophe.

Les papillons quittent leur chrysalide. On note des mutations bizarres, mais il faut vraiment se rapprocher.
Les enfants portent en permanence un dosimètre qui mesure le niveau de radiations accumulées dans l'organisme. Les données sont analysées ailleurs. Ils attendent encore les résultats.
Les médecins conseillent de dormir au milieu de la pièce plutôt que le long des murs, à cause du césium qui descend du toit. Et dehors, de porter un masque respiratoire. Peu le font (2).
L'agriculture régionale tourne au ralenti. L'export des produits vers les autres préfectures est sous surveillance. Alors ils emplissent les supermarchés locaux. On ne peut pas tout surveiller tout le temps. On rejette dans les eaux des ports les poissons dont le taux de césium dépasse 80 becquerels. On vend les moins radioactifs.

La vie semble à peu près normale à Fukushima. Parfois cocasse, quand parait l'équipe municipale de décontamination. Trois fonctionnaires dévoués et incompétents partis pour la dérisoire tentative de décontamination de la montagne, des terres, de la forêt, des champs, des brins d'herbe. Dès qu'il pleut, il faut recommencer.
La terre irradiée est stockée dans des sacs qui finissent sur un terrain vague. L'auteur d'un des reportages s'étonne qu'un pays traditionnellement organisé et efficace comme le Japon en soit rendu là, et ajoute que cela n'arriverait pas en France où les normes de sécurité sont draconiennes.
On le croit aisément. Il suffit de constater comment la région parisienne est désorganisée dès que tombent quelques centimètres de neige.

Avec Fukushima commence une nouvelle ère. Une ère depuis longtemps prédite par les auteurs de science-fiction. Une ère où il faudra se débrouiller pour survivre aux radiations.
Fêtons donc, tous les 11 mars, avec les humbles pionniers de Fukushima, l'ère de la radioactivité.

Mise à jour du 29 mars 2013 : voir la chronique « Rebondissements »

*** 
(1) Surtout « Fukushima une population sacrifiée » de David Zavaglia pour LCP, également « Le monde après Fukushima » de Watanabe, et « Fukushima chronique d'un désastre ».

(2) En dépit des dénégations des autorités, la région est contaminée, jusqu'à 100 kilomètres de la centrale. À Tokyo, par endroits, 250 kilomètres plus loin, il arrive que les seuils d'alerte soient atteints. À Fukushima, afin de convaincre qu'il n'y a pas de danger, la municipalité a organisé une grande fête avec Mickey. Où les enfants étaient assis, la radioactivité était de 10 microsieverts par heure (soit 87 millisievert par an).
Avant 2011, la loi japonaise (comme le code de la santé publique en France) interdisait qu'une personne subisse plus d'un millisievert par an (une radiographie équivaut à 0.3), et plus de vingt pour les professionnels exposés.
Après l'accident nucléaire de mars 2011, les autorités ont passé la norme de un à vingt, pour ne pas avoir à évacuer un million d'habitants. Et la nouvelle norme n'est même pas respectée par les tribunaux qui considèrent parfois que l'évacuation n'est pas justifiée en dessous de 100 millisieverts par an.

dimanche 10 mars 2013

La vie des cimetières (48)

Tôt, on nous apprend qu'un jour nous mourrons, mais personne ne nous dit où et quand. On vit alors chaque jour comme le précédent et persuadés que le suivant lui ressemblera. Pourquoi s'empoisonner l'existence quand la vie s'en charge ?

Cependant certains sont mieux informés. André Del Debbio par exemple, né en 1908, enseignant la sculpture, repreneur de l'Académie Julian en 1946, portraitiste de papes et de présidents, s'est dédié une stèle funéraire anticipée dans le courant des années 1990 au cimetière du Montparnasse. Il avait passé 80 ans. Il y a posé un buste de la Joconde, en hommage à son ami Léonard de Vinci, et fait graver dans les informations identitaires le lieu de son propre décès, Paris. La date manque.

Un jour, affaibli et dépendant, il devenait pensionnaire à la Maison nationale des artistes retraités de Nogent-sur-Marne.

Enfin en 2009, à 101 ans, il recevait la médaille d'Officier des Arts et Lettres lors du vernissage d'une rétrospective de ses œuvres. Le film de cette réception mondaine évoque le roman de Marcel Proust, lorsque le narrateur se rend, après de nombreuses années d'absence, à une matinée de la princesse de Guermantes. Il y retrouve tous les personnages qui ont fait la matière de son livre, mais ne les reconnait pas. Ils sont grimés, travestis, caricaturés, comme à un guignol de poupées. Il réalise alors que c'est le temps qui les a défigurés.

Fragile, dans son fauteuil roulant, André Del Debbio déclare au Général qui l'épingle « Cette décoration me donne vraiment une vie de grandeur, autrement on est comme tout le monde. »

Puis il est mort, comme tout le monde, à Nogent-sur-Marne le 2 avril 2010, à 102 ans.
Sa stèle a certainement été corrigée et complétée.