mardi 27 novembre 2012

Peut-on vivre sans cerveau ?

Délicate question médicale. Le très savant Albert Einstein l'affirmait. D'après lui l'Homme est capable d'exécuter sans cerveau quelques fonctions de base, comme marcher en rangs et au pas cadencé au son d'une musique militaire, avec comme seule ressource sa moelle épinière. Il faut reconnaitre que la médecine n'était pas sa spécialité, mais il a tout de même mis au point les fondements théoriques de la bombe atomique et de plein d'autres petites choses utiles.

Par ailleurs on a bien découvert des braves gens qui vivaient normalement et apparemment sans cerveau, comme en 2007 ce fonctionnaire dont l'organe était tartiné en une fine couche sur la paroi interne de sa boite crânienne presque vide.

Ces histoires sont palpitantes. C'est pourquoi il faut écouter Denis Le Bihan, directeur de NeuroSpin CEA Saclay, qui a inventé des procédés révolutionnaires d'observation des fonctions du cerveau (résonance magnétique à très haut champ).
C'est un peu le docteur Mabuse et son hypnose télépathique. Mais Le Bihan, lui, ne songe pas à détruire l'humanité. Il devise modestement sur l'exploration de la conscience humaine, dans une récente émission médicale de la radio France Culture, comme dans une salon de thé.

Il y parle de la découverte de la localisation matérielle de la parole dans le cerveau par Paul Broca, en 1861. Et on frémit un peu quand il dit avoir vu l'excitation des molécules dans les zones du plaisir, ou constaté une plus grande densité de matière blanche chez les musiciens à la mesure des quantités d'heures de pratique.
On tremble aussi lorsqu'il précise qu'une électrode posée sur le cerveau et déplacée par erreur d'à peine deux millimètres peut entrainer le patient dans une insoutenable envie de suicide, ou quand il affirme avoir reconnu la traduction de formes simples et de lettres de l'alphabet dans l'observation directe du cortex visuel primaire. Le rêve du docteur Mabuse.

Par bonheur, quelques anecdotes récréatives ponctuent ce pataugeage dans la conscience, comme lorsqu'il évoque, succinctement, la destinée rocambolesque du cerveau d'Albert Einstein en personne. Mais cette histoire méritait d'être un peu plus détaillée. Elle le sera dans la prochaine chronique de Ce Glob est Plat.
Cette admirable sculpture antique démontre que la beauté peut aisément se passer de cervelle.
Buste d'Aphrodite, époque d'Hadrien, copie d'un original grec du 4ème siècle avant notre ère, découvert dans l'amphithéâtre antique de Capoue où il décorait le porche d'accès aux gradins supérieurs (Naples, musée national d'archéologie, inv.6019).

samedi 17 novembre 2012

Edward Hopper ou l'ennui

Edward Hopper, The lonely house (gravure 1922)


« L'ennui opère des prodiges : il convertit la vacuité en substance. » 
Cioran, Syllogismes de l'amertume

On pensait jusqu'à présent que le public ne se déplaçait en nombre que pour les évènements optimistes, ceux qui exaltent l'harmonie de la nature, la grandeur de l'Homme et de ses réalisations, d'où le triomphe des expositions autour des peintres impressionnistes ou des joyaux des pharaons.
Il faudra admettre, à la vue des files interminables (jusqu'à 5 heures d'attente) qui piétinent à la porte de la rétrospective consacrée au peintre Edward Hopper au Grand Palais de Paris, que la règle n'est pas aussi élémentaire.

Car Hopper n'était pas un peintre particulièrement jovial. Il décrivait sur de grandes toiles aux couleurs à la fois fades et acides, une réalité américaine généralement urbaine dont il négligeait les objets inutiles pour ne conserver que les plus emblématiques. Et au milieu de ces décors dépouillés à en devenir géométriques, il déposait quelques personnages qui ne font rien, rien qu'attendre l'instant suivant, qui sera identique au précédent.
Hopper est un peintre de l'ennui. Pas l'ennui métaphysique, pas un ennui existentiel noble et mélancolique, mais un mal-être vague et insipide devant la banalité de la vie quotidienne.

Tout cela n'est pas vraiment vendeur. C'est pourquoi la campagne promotionnelle du commissaire de l'exposition, pour qui le mot « réalisme » doit faire un peu minable, lui a joint l'adjectif « paradoxal ». Il faut toujours fabriquer du mystère, le réel ne suffit pas.
Et il ne s'arrête pas au réalisme paradoxal, mais évoque, dans l'ombre du peintre, des écoles prestigieuses en « -isme », surréalisme, cubisme, symbolisme, romantisme... Et pourquoi pas cyclotourisme ?

Finalement l'engouement vient peut-être simplement du fait qu'Edward Hopper est un peintre inconnu, mais dont on a vu mille fois les œuvres reproduites jusqu'à la nausée sur la couverture des romans policiers dans les gares.
Alors comme l'internet est avare en bonnes reproductions, il est conseillé de réserver une place à la première heure de l'exposition (pour ne pas être confronté au douloureux réel qu'est la profusion des autres visiteurs) et de constater par soi-même que ses tableaux n'ont besoin que d'être là. Leur présence est celle de la réalité. Et la réalité est amère, frivole, incohérente. C'est Alexandre Vialatte qui l'a dit.

samedi 10 novembre 2012

L'exception

Un témoin inconscient ayant bravé l'absence d'intérêt de l'exposition Bohèmes au Grand Palais de Paris en rapporte une information incroyable. La plupart des œuvres exposées peuvent être photographiées par le quidam. Le phénomène est rarissime.
Ultime raffinement, les œuvres qu'il est interdit de photographier car soumises à droits d'auteur (1) sont flanquées d'un petit pictogramme noir en bas de la notice qui les accompagne. Il figure un appareil photo barré.

Ainsi, peut-être une des premières fois en France, ce que réclament les défenseurs du domaine public est respecté par un établissement public. Même si ce n'est qu'une éphémère étincelle d'intégrité, et si on ne mesure pas totalement le niveau d'une civilisation à ce genre de détail, le fait mérite d'être cité.

Bien sûr, la mise en place d'un dispositif aussi complexe (ne pas interdire de photographier) est nécessairement chaotique et des erreurs sont commises. Car pour simplifier le casse-tête et éviter de se renseigner sur les droits des tableaux prêtés par des villes étrangères, le musée semble les avoir tous interdits, par défaut.
Ce qui aboutit à des situations déraisonnables ; ainsi le célèbre tableau de Georges De La Tour « La diseuse de bonne aventure » ne peut pas être photographié aujourd'hui à Paris alors qu'il peut être mitraillé sans retenue à New York, au Metropolitan Museum qui l'héberge habituellement. C'est stupide.

(1) On ne rappellera pas ici l'illégalité et l'abus de pouvoir que constitue l'interdiction de photographier même des œuvres encore soumises à des droits d'auteur (c'est la reproduction hors d'un cadre privé qui est interdite par la loi), on en a longuement parlé ici et


Georges De La Tour, La diseuse de bonne aventure, vers 1630
Détail photographié à l'exposition Bohèmes au Grand Palais
au Metropolitan Museum de New York (© 2011 JFP)


dimanche 4 novembre 2012

La vie des cimetières (46)



« La fin est dans le commencement et cependant on continue. »
Samuel Beckett, Fin de partie, 1957

 
Tombe de Samuel Beckett au cimetière du Montparnasse à Paris.