mardi 29 novembre 2011

La persistance du gris (suite)

Meung-sur-Loire, juin 2011

L'encyclopédie populaire Wikipedia affirme qu'en orient le gris représente la fumée d'encens, la prière, le sacré, et en occident la poussière, le désarroi et la solitude. Admettons. Ça permet de ranger tout cela dans des tiroirs et de le resservir en cas de besoin quand on veut exprimer sans effort l'idée ou le sentiment indiqués sur l'étiquette. Tout le monde s'y retrouve. Et puis, la sensation douloureuse d'abandon et le besoin d'inventer un monde d'illusions sont des comportements finalement très voisins.

samedi 26 novembre 2011

La persistance du gris

Au commencement, le monde était en couleurs.

Il y avait bien des grisailles, des dessins au crayon, mais c'étaient des brouillons ou des pastiches. L'œuvre finale était nécessairement colorée, puisque la vie l'était. On pardonnait sa monochromie à la gravure, on s'était faits à son univers simplifié, caricatural, elle illustrait surtout la littérature populaire, la fiction, et on se doutait qu'elle se laisserait un jour séduire par la couleur.

Puis vint le génial Nicéphore Niépce. Et pendant le long siècle qui suivit l'invention de la photographie, de 1830 à 1960, la réalité, jusqu'alors subtile et bigarrée, se changea en une morne chose sans couleur habitée de pâles ectoplasmes. Le monde des autres, le monde lointain qu'on découvrait dans les journaux et les magazines, était grisé. On nous avait fait miroiter des eldorados ruisselants d'oranges et de jaunes mais les pyramides d'Égypte étaient exsangues, la muraille de Chine blafarde, et le grand canyon du Colorado, gris. Niépce n'y était pour rien. Le monde était noir et blanc par les insuffisances de la technique photographique.
L'invention du cinéma et plus tard de la télévision n'y fit rien.

Du temps passa. Nos ancêtres finirent par se persuader, s'habituèrent. Quelques dandies gothiques et anticonformistes en firent une esthétique. À leurs yeux, l'absence de couleur n'était plus une infirmité, elle simplifiait les formes et renforçait le sens. La photographie devenait une allusion, une métaphore.

Gennevilliers, aout 2011

Doucement, la couleur s'installa, dans les années 1960. D'abord imperceptiblement, comme la première émission en couleurs de l'ORTF, en octobre 1967. Mémorable instant, où l'on se frotte les yeux quand le ministre de l'Information annonce fièrement « Et voici la couleur ! », parce qu'on ne perçoit alors pas vraiment de différence. À voir la contenance solennelle des importants personnages présents, on assiste plus à une veillée funèbre, à l'enterrement du noir et blanc, qu'à la naissance des couleurs.

Et aujourd'hui encore, près de 45 ans plus tard, le gris a tant envahi archives et livres d'histoire que son deuil est loin d'être consommé, et même pour qui n'a connu que la couleur, le noir et blanc reste la tonalité du rêve, des souvenirs d'enfance, des choses révolues.
Un jour, en 2050, en 2100, lorsque personne ne saura plus qui étaient Orson Welles ou Greta Garbo, sera commercialisé et popularisé un procédé d'image holographique animée. La photographie en couleurs deviendra alors ce qu'est aujourd'hui le noir et blanc, un objet de musée, une réminiscence, une épure.

dimanche 13 novembre 2011

Histoire sans paroles (3)

Sous-sols du palais du CNIT, La Défense, novembre 2008.

dimanche 6 novembre 2011

La vie des cimetières (40)


On doit respecter, choyer, bichonner les morts. Soit ! Mais voilà, malgré les efforts méritoires de la médecine et des assurances sociales, il y en a de plus en plus.
Le temps de lire cette chronique et, au rythme actuel, 600 bienheureux se seront éteints. Et ça ne s'arrangera pas, même si, mus par une sorte d'illusion philanthropique, vous refermiez la page que vous lisez actuellement, imaginant qu'ainsi l'hécatombe cesserait. Les plus curieux trouveront d'ailleurs en suivant ce lien de vivantes statistiques sur les causes des décès (laissez mijoter trois minutes pour voir apparaitre au moins un cancer du pancréas).

Face à cette extermination méthodique, l'Homme ne lutte plus. Les morts s'amoncellent et leurs dernières demeures sont négligées.
La ville de Gênes qui diffuse pourtant force plans illustrés et fascicules pour inciter le touriste à visiter le célèbre cimetière monumental de Staglieno, attraction de la ville, n'a pas vraiment les moyens de l'entretenir et en laisse une grande part à l'abandon. C'est le sort de tant d'autres cimetières historiques. C'est aussi probablement leur charme.