dimanche 29 mai 2011

L'expert et le dindon (farce)

Avertissement au lecteur : ce récit, véridique, ressemble tant à une caricature que les noms des personnes réelles ont été masqués afin de n'offenser personne et de ne pas, à l'ânerie, ajouter l'humiliation.

Roger-Jean S-M. est politicien et philanthrope. Un sombre jour de 2007, par testament, il lègue tous ses biens à des organismes bienfaiteurs, à l'exception d'un tableau daté et signé de Lyonel F., illustrateur et peintre du début du 20ème siècle, qu'il souhaite offrir au renommé Centre P. de Paris, la plus grande collection d'art moderne et contemporain en Europe (sic). Mais le Centre P. consulte Achim M., seul expert de Lyonel F. sur Terre, qui affirme que le tableau n'est pas de la main du peintre. Le Centre P. refuse alors le legs.
Quelques mois passent.

Aujourd'hui 29 mai 2011 vers 20 heures le tableau refusé jadis par le Centre P. sera mis en vente dans une grande salle des Champs-Élysées à Paris. Attribué à Lyonel F., estimé entre un et deux millions d'euros, il sera garni d'un authentique certificat d'authenticité signé de la main même du célèbre Achim M.
Certains prétendent que cette fois, s'agissant d'une vente, et non d'un don, l'expert peut revendiquer un pourcentage de la vente. Ce sont sans doute d'épouvantables envieux.

Moralité, lorsqu'un plombier vous propose un devis pour des travaux importants, demandez une contre-expertise à votre dentiste, c'est-à-dire à quelqu'un qui n'a aucun intérêt financier à vous mentir en matière de plomberie. Bien sûr, vous vous serez auparavant renseignés sur une éventuelle collusion entre les deux commerçants. Et Vous aurez obtenu ce renseignement auprès d'un tiers dont vous avez vérifié la neutralité, bien entendu.

Mise à jour du 30.05.2011 : Les estimations ont été pulvérisées. La dernière enchère était à cinq millions d'euros.

dimanche 22 mai 2011

Quelques globes


Le parvis couvert du théâtre Carlo Felice, l'opéra de Gênes, en Italie du nord. Au fond, la place De Ferrari et la statue équestre de Garibaldi.

Pendant ce temps-là, tout va bien de l'autre côté du globe. La centrale nucléaire de Fukushima tient ses promesses (1). Elle fuit comme un pneu fatigué. Le corium se répand. On envisage la solution extrême, l'ensevelissement des réacteurs sous un gigantesque sarcophage, ruineux comme à Tchernobyl, pour une éternité d'environ 50 ans, après quoi il sera nécessaire de le remplacer. Et ainsi de suite, pendant des millénaires.

1. Voir Marianne, Courrier International, Sciences et Avenir.

mardi 17 mai 2011

Caffi, biographie

Caffi Ippolito, védutiste tardif.

16 octobre 1809, Belluno, nord-est de l'Italie,
20 juillet 1866, près de Lissa (Vis) en Croatie.

Un tableau d'Ippolito Caffi est toujours une surprise. Comme pour Hubert Robert dans les musées français, on ne visite pas un musée italien pour voir un Caffi. On ne sait même pas qu'il y en a un. On le découvre au bout d'un couloir, dans une pièce silencieuse, entouré de paysages italiens un peu sombres. C'est un petit panorama urbain peint avec précision et de délicates lumières vivement colorées, comme avec de la gouache. Une ville qu'on croit reconnaitre, avec des ruines, des monuments et des petites silhouettes humaines. Un Canaletto en miniature.

En haut et en bas, Venise, au centre Constantinople et Rome. Tous sont dans des collections privées, sauf Constantinople (à Brescia) et la fête nocturne en bas à gauche (au musée de Belluno).

Caffi aura trop aimé Venise. Sous la neige, les hautes eaux, le brouillard, les feux d'artifices, il l'a représentée mille fois.

Il y étudiera 4 ans, avant de partir pour Rome en 1832 où il rencontrera Corot, et le succès. Il voyagera beaucoup, en Europe et au Moyen-Orient (1843), mais reviendra à Venise en 1847 pour soutenir l'insurrection de la ville, menée par Daniele Manin, contre l'occupant (la Vénétie était alors province autrichienne, cédée par Bonaparte en 1797).
Prisonnier quelques mois, évadé, victorieux pendant la courte période de la république de Saint-Marc, propagandiste exilé quand l'Autriche reprendra Venise en 1848, acquitté en 1859, on le retrouvera dans la lutte pour la libération et l'unification de l'Italie, prisonnier politique, puis illustrateur de l'armée de Garibaldi à Naples en 1860, enfin à nouveau vénitien sous surveillance policière en 1862.

1848, Pie 9 bénit, place du Quirinal à Rome (musée de Trévise).

En 1866, Venise (comme Rome) ne fait pas encore partie du Royaume d'Italie. Les alliés prussiens sont sur le point d'y déloger les autrichiens. Alors les italiens fraichement unifiés, en surnombre et mieux armés, penseront s'assurer un avantage diplomatique par une bataille navale facile en chassant les autrichiens de l'ile de Lissa (aujourd'hui Vis) sur les côtes de la Dalmatie. Ippolito Caffi embarquera sur le Re d'Italia, puissante frégate cuirassée. Mais les forces italiennes sont mal organisées, c'est un fiasco. Vers midi, le Re d'Italia est éperonné par le Ferdinand Max et coule en quelques minutes.

Caffi ne verra jamais Venise dans le Royaume d'Italie. Il demeure peut-être parmi les petites silhouettes humaines qui se noient, peintes avec précision par Carl Frederik Sorensen, sur le tableau de la bataille de Lissa, exposé dans le musée d'histoire militaire de Vienne, en Autriche.


jeudi 5 mai 2011

Un pape est mort

Dieu est mort mais la croyance se porte bien. C'est qu'elle n'a pas besoin de support, ou si peu. Il suffit de croire pour croire. Et puis comme avec toutes les affections humaines, amour ou haine, la croyance peut se fixer sur n'importe quoi. Le principe est d'accepter les choses les plus invraisemblables pour échapper au réel. Le besoin de merveilleux est universel, et c'est une maladie contagieuse, voyez comme elle se propage.

Prenez un fait inexpliqué par la science (la mode est plutôt aux guérisons inespérées, qui marquent les esprits, sont faciles à falsifier, et adviennent même parfois). La pauvre sœur Marie Simon-Pierre, religieuse, tremblait de tout son corps, atteinte de la maladie de Parkinson. Elle fut soudain guérie, deux mois seulement après la mort, par le même mal, du pape Jean-Paul 2.
Un aréopage de savants croyants (oui ça existe, c'est un oxymore, une erreur de la nature), décréta que l'évènement était un miracle. Puis, en scientifiques sincères, ils en attribuèrent la paternité à Jean-Paul 2, qui se décomposait tranquillement, à Rome, au fond de sa crypte. Or un pape mort qui fait un miracle a droit à une promotion, la Béatification. Pour deux miracles il aurait obtenu la Sanctification. Mais être béat (ou bienheureux), c'est déjà bien.

Et cela occasionna une pompeuse cérémonie, qui se déroula le dimanche 1er mai.

Elle a fait venir à Rome un million de fanatiques, et quantités de politiques dont le Gouvernement de la France, bien connue pour sa laïcité. Passons pudiquement sur l'aubaine financière (1) de ces festivités. On vous remonte de votre caveau humide. On vous présente la brave religieuse que vous avez miraculée (vous la recevez assez froidement). Elle brandit alors un flacon conservé de votre sang à la foule qui crie de vous sanctifier sur place. Puis un million d'adorateurs défilent devant votre cadavre.
Vous serez désormais fêté le 22 octobre sur les calendriers de la poste.

Au même moment le président des États-Unis annonce au monde la suppression définitive, quelque part en pleine mer, du diable en personne, le terroriste Usama Bin Laden, pape obscur d'une autre religion.

Le vieux pape, au fond de son tombeau, apprend qu'il sera béatifié. Le fauteuil est signé LaurieS. Le chapeau n'est pas très catholique, mais on ne contredit pas les dernières volontés d'un pape.

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1. Pour participer à la prospérité pontificale, cliquez sur le drapeau français, puis sur le bouton à gauche «Dons pour la cause».