mercredi 22 juillet 2009

Les plaisirs du dialogue solitaire

L'être humain a toujours éprouvé l'envie de communiquer, c'est un avatar de l'instinct grégaire. Généralement pour ne rien dire et souvent avec n'importe qui, mais le besoin de s'exprimer est là, impérieux. Même par des monologues, comme il a été démontré avec brio dans une récente chronique. Et la quintessence de cette obsession a été récemment remémorée par le site APOD (Astronomy Picture Of the Day) à l'occasion d'un 10ème anniversaire.

En effet, en 1999, de mai à juillet, Yvan Dutil et Stéphane Dumas, chercheurs canadiens lassés des communications scientifiques et des conversations météorologiques entre voisins de palier, émettaient, à partir d'un radio-télescope situé en Ukraine, un message vers des intelligences extra-terrestres. Ils récidiveront en juillet 2003.
En 21 dessins volontairement simplistes et progressifs dans le vocabulaire et la syntaxe, les auteurs ont résumé les grandes découvertes de l'humanité : Pacman, l'autorité de l'homme sur la femme, la tapette à mouches, les œufs sur le plat et la transformation de la planète en excréments. Le message a été amélioré en 2003, notamment l'alphabet, et les dessins regroupés en une longue bande verticale.








Légende des illustrations : À gauche, la page 5 du message, qui retrace l'invention du célèbre jeu électronique Pacman et ses règles de déplacement. Au centre, la page 15 figure un couple d'humains où la femme, légèrement en retrait sourit bêtement, la main sur la hanche dans une pose douteuse. L'homme, sérieux au premier plan, chasse du plat de la main une nuée de mouches qui semblent chuter comme étourdies par ce puissant geste dominateur. À droite, la page 18 montre un œuf sur le plat, trop cuit, vu de haut, et expose les conseils pour ne pas en rater la cuisson. Enfin ci-dessous, les pages 19-20 ne représentent pas une descente de lit en peau de vache mais un planisphère terrestre. Les continents ont la forme d'étrons.


Tant de science, de connaissances, de pattes de mouches soigneusement calligraphiées émerveillent et confondent le profane. Aussi n'est-il pas question de remettre ici en cause le profond contenu scientifique du message ni l'ingéniosité de la démarche sémantique mais d'émettre peut-être un doute sur la rigueur de la méthode.

On notera d'abord que les étoiles visées par l'émission du message (parce que susceptibles d'héberger des planètes similaires à la Terre) sont situées à une distance moyenne de 60 années-lumière de la moindre cabine téléphonique terrienne. C'est avoir une confiance émoussée dans les vertus du dialogue, ou une foi illimitée dans celles de la science, que d'envoyer un message dont on sait que la réponse ne nous parviendra pas avant 120 ans. Et puis, peut-on sérieusement attendre une réaction intelligible d'un mollusque verdâtre inconnu qui marine dans une solution d'acide sulfurique (même peu concentrée) à quelques billions de kilomètres d'ici, alors qu'il est impossible d'en obtenir une d'un ami qui vous doit de l'argent ou d'un quelconque service de réclamations qui se trouve à deux pas ?

On le constate, l'entreprise était dès le départ condamnée à l'échec.

Par ailleurs les distances sont si grandes à notre échelle, et les moyens si dérisoires. Si nous n'avons pas encore reçu de message extra-terrestre irréfutable, ça n'est pas parce qu'ils n'existent pas, mais parce que dans l'épaisseur vertigineuse des milliards d'années qui se sont accumulés, la période pendant laquelle une civilisation est capable, avant d'être détruite, de recevoir et d'émettre des signes intelligibles sous forme d'ondes électromagnétiques ne représente qu'un infime grain de sable.
Si nous ne sommes probablement pas seuls, nous sommes certainement définitivement isolés. Ça n'est pas une raison pour empêcher les chercheurs d'exercer leur sacerdoce, qui est de chercher.

samedi 11 juillet 2009

Muets comme en terre

Qui aura remarqué, sur Ce Glob Est Plat, l'absence presque parfaite de commentaires des lecteurs ? À part de temps en temps un plaisantin sympathisant ou un illustrateur désorienté, personne ne dépose ses remarques alors qu'elles sont (seraient) publiées immédiatement, sans contrôle ni censure.
On peut aborder des sujets sensibles, ridiculiser les religions, les croyances et quelques idées reçues. Calme plat. On assaisonne un peintre médiocre récemment ressuscité, on réveille à peine un petit remous de trois commentaires teintés d'acrimonie, et c'est le retour au mutisme.

Évidemment, un blog sans lecteur n'est jamais commenté. Mais Ce Glob Est Plat semble avoir quelques lecteurs réguliers, comme en témoigne le compteur de visites affiché dans la rubrique «Rions un peu», avec une moyenne de 200 à 250 lecteurs pour chaque billet à peu près hebdomadaire. Et une longue campagne de tests de plus de 10 minutes a démontré sans réserve que ce compteur sous-traité par un éminent prestataire gratuit était approximativement juste.

Venons-en aux explications plausibles.

Le lecteur de Ce Glob Est Plat a peut-être un sens du ridicule suffisant pour ne pas publier, même sous le couvert de l'anonymat, ces commentaires constructifs qui font la singulière beauté d'internet «Alors la mille foi dacor avec toi, l'école de Vienne c'est dla zik de ouf LOL!», ou «En vrai jkiffe pas trop l'aquatinte, mdr!, mais Goya C 1 graveur 2 la mort».

Ou alors, le lecteur de Ce Glob Est Plat a peut-être un sens aigu du geste inutile, en disciple de Tchoang Tzeu, le seul penseur taoïste réellement nihiliste qui proclamait, il y a plus de 2300 ans «Pour moi, le bonheur consiste dans l’inaction, ... le contentement suprême, c’est de n’avoir rien qui contente ; la gloire suprême, c’est de n’être pas glorifié. ... Seul, ce qui n’a pas été fait ne peut pas être critiqué. L’inaction, voilà le contentement suprême, voilà qui fait durer la vie du corps. Où est l’homme qui arrivera à ne rien faire ?» (Zhuang-Zi, Chapitre 18-A).




Pour l'apprenti taoïste qui, distrait par les mondaines frivolités, ne parviendrait pas à se fondre dans l'indifférence du Tao, la médecine traditionnelle chinoise a fabriqué ce scaphandre protecteur isolant, disponible sur ordonnance médicale chez tous les pharmaciens sérieux et au musée de la marine de Paris.

Finalement, l'explication est peut-être plus simple : on apprendra un jour que le compteur de visiteurs est uniquement déclenché par le passage des robots, les fouineurs méthodiques qui inspectent régulièrement le réseau pour alimenter les moteurs de recherche. Ainsi tout le trafic du réseau est peut-être généré artificiellement par des scripts et des programmes automatiques, pendant que les humains sont dehors en train de regarder le ciel, d'écouter les oiseaux, de jouer au ballon, ou de se décomposer lentement sous l'effet des radiations mortelles d'une supernova trop proche de la Terre.

Post-scriptum : que le lecteur, s'il existe, ne se méprenne pas sur les motivations de ce billet narcissique. Ça n'est pas une supplique pour une recrudescence des commentaires. C'est, par pure curiosité, une réflexion vagabonde sur une chose sans intérêt, ce qui est un peu la devise du blog.

dimanche 5 juillet 2009

Nuages (17)

Une aube sur l'anse La Réunion, ile de La Digue aux Seychelles