samedi 25 août 2007

Lascaux 2, le retour

Au-dessus d'eux les explosions avaient cessé depuis quelques jours. C'était une bonne idée d'avoir fait construire cet abri. Il fallait maintenant essayer de retrouver Alis qui avait fui avant la reprise des tirs.
La lourde porte blindée grinça un peu.
Dehors, le spectacle était désolant. Une partie de la colline en face avait disparu. Presque toute la végétation également, pour ce qu'ils en voyaient à travers l'épais brouillard noir. Même en plein jour, la torche électrique était utile. Ils longèrent le seul chemin praticable le long de l'ancien ruisseau. En bas tout était dévasté, à part un immense bloc de rocher gris qui avait résisté.

Des gémissements semblaient venir de là, d'un passage étroit au ras du sol poussiéreux, probablement pratiqué par une explosion. Gala qui était plus petite s'y glissa.
Le conduit s'évasait rapidement en une vaste caverne couverte de peintures représentant toutes sortes d'animaux fabuleux. Elle se souvint avoir entendu parler de grottes peintes dans la région il y a des siècles, quand il y avait encore des animaux. Les galeries étaient désertes, ses appels résonnaient. Au fond, sur un panneau, un texte était écrit dans un alphabet qu'elle ne reconnaissait pas «Grotte de Lascaux 2, inaugurée par M. Jack Lang Ministre de la culture, le 19 novembre 1984».

Elle appela encore... Alis n'était pas ici.
Elle regarda une dernière fois les
étranges animaux, fascinée. Mais il y avait plus urgent. Il fallait rejoindre Moza et trouver de la viande fraîche pour ce soir.

Grand taureau
(Lascaux 2, copie partielle de Lascaux, Montignac, Dordogne)

Que le lecteur sensible ne s'effraie pas. Tout ceci n'est que fiction. Il est possible que la réalité en diffère un peu.
Cet été pluvieux ayant été propice aux activités culturelles souterraines, Ce Glob Est Plat a reçu d'une jeune lectrice une carte postale qui représentait un taureau, détail d'un ensemble datant d'environ 17000 ans, peint sur les parois de la grotte de Lascaux 2 voici à peine 25 ans. Ce paradoxe chronologique précipita la rédaction dans un abîme de perplexité. Un reporter fut alors chargé de répondre sans délai aux questions suivantes:
— Ce qui est unique est-il nécessairement authentique ?
— Éprouve-t-on la même impression devant une copie que devant un original ?
— Pourquoi se sent-on trahi quand on apprend avoir admiré une copie ?
— Pourquoi cette vénération pour l'objet authentique ?

Mercure en bronze, probable copie romaine d'un original grec inconnu
(Naples musée national d'archéologie)

Notre reporter est revenu peu après avec l'historiette que vous venez de lire, prétendant qu'elle répondait à toutes nos interrogations, et ajoutant « la vérité est une construction de l'esprit. Elle n'a besoin que d'être cohérente pour être acceptable ».
La rédaction réfléchit actuellement au libellé du motif de licenciement.

jeudi 23 août 2007

La vie des cimetières (9)

Dans la lagune de Venise, à quelques centaines de mètres au nord de la ville, se profile l'île des morts, le cimetière de San Michele.
On y rencontre, au long de la promenade, des musiciens qui nous ont envoûtés, Igor Stavinsky, Luigi Nono et les échos lugubres * de son Canto sospeso.

***
* Écoutez particulièrement les pistes 2, 3, 9, 10 et 12. Pour ceux qui aimeraient écouter plus sérieusement avant d'acheter , la magnifique interprétation d'Abbado est disponible sur le réseau indicible ou sur MusicMe.
Ajout du 6 juillet 2008 : à lire, sur l'histoire et les habitants du cimetière de Venise, un petit dossier de Philippe Landru, bien documenté et illustré, qu'on trouvera sur le site préféré des nécrologues, cimetières de France et d'ailleurs.

samedi 18 août 2007

Ceci n'est pas un Rembrandt

Quand les experts s'ennuient, ils se mettent à examiner avec des moyens plus modernes ce que leurs aînés avaient passé des années à laborieusement étiqueter. Chaque musée connaît périodiquement ces vagues d'effervescence purgative. C'est le grand nettoyage, la valse des attributions.
Le profane ne s'en rend pas immédiatement compte. Les gardiens de l'authenticité accomplissent leur lente érosion dans la pénombre. On se réveille un matin ensoleillé, et «l'homme au casque d'or», chef d'œuvre de Rembrandt unanimement admiré à la Gemäldegalerie de Berlin, se retrouve attribué à un vague imitateur anonyme et retournera peu à peu dans l'ombre.

Entourage de Rembrandt - L'homme au casque d'or
(Berlin Gemäldegalerie)

De même on conseillait à tous, depuis longtemps, le voyage à la National Gallery de Londres, ne serait-ce que pour y admirer le stupéfiant «homme lisant dans une pièce». On le cherche maintenant fébrilement dans un catalogue complet des peintures de Rembrandt pour le trouver enfin, minuscule cartouche en noir et blanc relégué dans une annexe, près des toilettes et attribué à un peintre sans nom. Exclu pour raisons «stylistiques».

Entourage de Rembrandt - Homme lisant dans une pièce
(Londres National Gallery)

Mais la résistance s'organise. Les gardiens de l'authenticité classent le «philosophe méditant» du Louvre, icône de nos livres d'écoliers, dans les tableaux douteux. Le musée refuse qu'il retourne dans l'ombre et l'attribue encore à Rembrandt, même s'il ne fait pas partie des 47 œuvres choisies, distinguées sur la page des peintures hollandaises du musée du Louvre.
Le musée a raison de résister. Les gardiens de l'authenticité reviennent parfois sur leur jugement. Le «cavalier polonais» de la Frick Collection de New York a fait l'objet d'une exclusion discutée à la fin du siècle dernier, mais, si on en croit certains bruits, il serait actuellement réhabilité, par les mêmes juges, d'une courte tête. Il suffirait d'un rien...

Par chance le «Souper (ou les pélerins) à Emmaüs», une des merveilles du musée Jacquemart de Paris, le plus beau Rembrandt en France, tient bon. Il est encore authentique aujourd'hui. Isolé dans ce discret musée parisien, il a probablement été oublié. Mais pour combien de temps?

Rembrandt authentifié - Le souper (ou les pélerins) à Emmaüs
(Paris musée Jacquemart-André)

Au rythme des dépossessions * récentes, dans un siècle à peine, Rembrandt n'aura pas existé.
Tout cela serait après tout plutôt indifférent si tous ces tableaux orphelins ne risquaient pas de s'égarer un jour dans les caves poussiéreuses d'un musée, ou les couloirs d'un ministère.
Alors, afin qu'on ne les oublie pas, diffusons à outrance les reproductions de ces tableaux d'imitateurs. Ils sont parfois plus beaux que les «authentiques».

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* Le site extraordinaire de Frank J. Seinstra de l'université d'Amsterdam présente la reproduction chronologique de l'intégralité des peintures de Rembrandt (ou de ses imitateurs), accompagnées des péripéties de leur authenticité.

dimanche 5 août 2007