dimanche 30 septembre 2012

La vie des cimetières (45)

Un jour, dans l'interminable odyssée de l'espèce humaine, les liens sociaux et affectifs s'étant peu à peu renforcés, quelqu'un refusa qu'un parent fraichement mort soit abandonné aux animaux nécrophages ou dégusté par le groupe. Après de longues palabres on l'autorisa à enterrer le corps. C'étaient les débuts du fétichisme et de la pensée magique. Bientôt se répandrait dans l'espèce humaine la réconfortante croyance en deux mondes distincts séparant la matière et l'esprit.

C'était il y a cinq-cent-mille ans, ou plus. Puis les pratiques funéraires se diversifièrent.
On enterra le mort avec des objets quotidiens, parfois avec quelques proches encore bien vivants, souvent dans le sol même de la maison, quelquefois dans une distante nécropole. Puis on lui construisit un abri de six planches, un tombeau de pierre, des monuments, des dolmens, des pyramides. Les dimensions du mausolée augmentaient avec l'importance du mort ou les ambitions de la famille. Certains peuples incinéraient le mort, ou le découpaient en morceaux digestes et l'exposaient à l'appétit des vautours.
Toutes ces méthodes perdurent. Le sort réservé aux défunts, comme toute pratique sociale, s'adapte aux aspirations religieuses, idéologiques, hygiéniques et économiques des peuples.

Le gouvernement chinois (1) l'a bien compris qui, dès la république nationaliste en 1928, interdit la plupart des rituels, relayé vers 1950 par le gouvernement communiste qui instaure un système funéraire moderne, matérialiste, égalitaire et obligatoire : la cérémonie est organisée par l'État, dans un lieu public, une unique musique officielle est jouée systématiquement, les proches n'ont pas le droit d'organiser de réception, d'offrir des cadeaux, de s'habiller en deuil, de pleurer. La crémation est immédiate et parfois collective pour mettre fin au culte des morts. Parallèlement sont lancées des campagnes de suppression des tombes pour libérer les terrains improductifs.
Et depuis 60 ans, la population chinoise s'ingénie à contourner ce système funéraire officiel, avec succès dans les campagnes. Le gouvernement relâche un peu la pression sur les points de croyance et de doctrine mais amplifie, par vagues, les actions de récupération des terrains rentables en généralisant exhumations et incinérations gratuites.
C'est un de ces fréquents épisodes qui émut récemment la presse internationale. Se sentant menacés parce que leurs quotas de crémation étaient faibles, les dirigeants municipaux de quelques villes du Henan (dont Zhoukou), ont relancé un peu fermement le programme officiel de suppression des cimetières.


Quand on exhume un corps, même dans le but louable de faire le bonheur du peuple, le mort vous regarde généralement d'une orbite désapprobatrice. (Gênes, cimetière Staglieno)


Aujourd'hui en Chine les cendres des trépassés, quand elles ne résultent pas d'une crémation collective, peuvent encore être récupérées par la famille, et quelquefois enterrées, à prix d'or, dans des cimetières administrés par les potentats locaux. Le mètre carré y est plus cher que celui des habitations dans la capitale.
Mais les théoriciens du Parti prévoient d'interdire un jour la conservation des cendres, prochaine grande étape vers la Lumière de la Vérité Ultime.
Sans défunts ni cimetières, la mort alors disparaitra, et cette chronique n'aura plus de raison d'être.

(1)  Les informations sur le système funéraire en Chine proviennent de cette étude de Fang et Goossaert en 2008 (également au format PDF)  

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