jeudi 30 septembre 2010

Belle journée pour les champignons

Le 12 septembre 2010, un soleil resplendissant se répandait sur le pays. Au lever, le Roi de la France, voyant que que c'était un beau jour pour les champignons, rassemblait quelques sujets amis et partait d'un pas décidé dans son petit hélicoptère fêter le 70ème anniversaire de la découverte de la grotte de Lascaux et de ses spectaculaires peintures pariétales, à Montignac en Dordogne.
Quelques minutes plus tard, après une visite émue de la grotte originale, qui démontrait que les peintures n'étaient pas encore effacées par les nettoyages chimiques successifs, le Roi de la France s'abimait dans un discours visionnaire. Cette allocution déconcerta plus d'un amateur du paléolithique, moins par l'imprécision de ses références préhistoriques (1) que par sa fougue prophétique : il annonçait un Lascaux 4, et dans son élan un Lascaux 5.
Vous en étiez restés à Lascaux 2, et pas vraiment informés des nouveautés du paléolithique, vous n'imaginiez pas la fièvre des «remakes» remuer les berges indolentes de la Vézère. Qui vous le reprocherait ? Mais à Lascaux, le passé change tellement vite. Faisons une rapide rétrospective.

Il y a 17 ou 18 000 ans donc, Cro-magnon, un Homo sapiens un peu négligent, après la chasse, essuyait ses mains grasses et sanguinolentes sur les parois d'une caverne de Dordogne.

Lascaux 1
Découverte en 1940, très aménagée en 1948 pour y industrialiser le tourisme (1000 visiteurs par jour), la grotte commence à montrer des signes de corrosion dès 1955. L'installation d'un système de régulation thermique et hygrométrique en 1957 n'empêche pas l'apparition d'algues vertes et d'une couche opaque de calcite qui envahit les parois en 1960. En 1963, Lascaux 1 est définitivement fermée pour le public sans privilèges. Le système de régulation est remplacé en 1965, et des relevés sont réalisés par l'Institut Géographique National pour aboutir, après nombre de péripéties financières, à l'ouverture au public de Lascaux 2.

Lascaux 2
C'est l'étonnante et exacte duplication d'une partie de la grotte (salle des taureaux et diverticule axial), à 250 mètres de l'original, ouverte au public en 1983. Quelques morceaux supplémentaires (vache noire de la nef, scène du puits...) sont exposés dans le parc du Thot, triste Disneyland de la préhistoire en plastique, à 4 kilomètres, près du château de Losse.
Et Lascaux 2, se décompose également. De Lascaux 1, elle a hérité les 1000 visiteurs quotidiens et les maladies qu'ils transmettent. Sa restauration est devenue nécessaire (lancée en 2009 à raison de 4 mois par an pendant 5 ans) car elle reste la seule source sérieuse de finances. Pour combien d'années ? Trop près de l'original, le trafic qu'elle génère est considéré par certains comme une des principales causes de la dégradation de l'équilibre du site.

Lascaux 3
Décalcomanie en kit, ruineuse expérimentation sans lendemain pour certains, conçu, pour d'autres, comme le Lascaux de l'avenir, en pièces légères et mobiles destinées à la promotion de l'art paléolithique français à travers la planète, ce fac-similé de voyage, partiel (seule la nef est copiée), n'a jamais vraiment voyagé. Exposé en 2009 dans le parc du Thot, sous le nom de «Lascaux révélé», à la place des morceaux volants de Lascaux 2 (mis au rebut sans précautions), il semble aujourd'hui inhumé sous les difficultés techniques, financières, ou les rivalités locales (2).

Lascaux 4
Lascaux 1 qui s'estompe, Lascaux 2 menacé, Lascaux 3 enterré, il fallait bien, ce jour ensoleillé du 12 septembre 2010, que le Roi de la France dévoile un avenir radieux. Ce sera Lascaux 4, projet de Centre d'art pariétal à Montignac, qui exposera - d'après Le Monde - la prochaine copie de la grotte, moderne et complète, peut-être avec des morceaux de Lascaux 3 dedans, ou de sa technologie.
Mise à jour du 12.09.2012 : le nouveau gouvernement, après avoir éjecté le Roi de la France au printemps, vient d'enterrer le projet Lascaux 4 en annulant son aide financière, sous les protestations d'Yves Coppens. De vagues promesses ont alors été murmurées.

Lascaux 5
Et comme les projets autour de Lascaux sont pharaoniques et leur dénouement hypothétique, le Roi de la France a finalement évoqué la réalisation d'un Lascaux 5, un Lascaux populaire, démocratique, que le prolétaire explorerait chez lui après le travail, en allumant son ordinateur. On se met alors à rêver d'une France où les sujets simuleraient pour leurs enfants admiratifs, sur les écrans familiaux, les déplacements surexcités de leur minuscule souverain dans les décors en décomposition de la caverne originale, comme Super Mario dans le célèbre jeu vidéo.

L'invasion des taches grises, que rien ne semble pouvoir arrêter, est particulièrement visible ici, à droite, autour des cornes de la vache noire de la nef (à gauche Lascaux 2, à droite Lascaux 1. L'angle de vue et surtout l'éclairage différent trop entre les deux photos pour permettre une comparaison précise).

Lascaux 0 (zéro)
C'est le sobriquet donné par dérision à Lascaux 1, la grotte originale. Après une longue période de stabilité, le remplacement du système de régulation, en 2000, a déclenché un processus qui semble inéluctable. Dès 2001, un champignon microscopique infeste la grotte de moisissures blanches, c'est Fusarium Solani. En dépit des communiqués officiels déclarant l'envahisseur refoulé, des femmes de ménage expertes en nettoient encore les parois deux fois par mois, en 2006. L'année suivante se dessinent et se multiplient des taches grises et diffuses, dans la nef, l'abside et le passage (souvent nommées taches noires). Depuis, les comités d'experts se succèdent au rythme des remaniements ministériels et des sommations scandalisées de l'Unesco qui avait décrété la grotte «patrimoine mondial de l'humanité» en 1979, et qui menace maintenant de la rétrograder dans la liste infamante du patrimoine en péril. Vexée, la France proteste et accumule contre-expertises et contre-vérités officielles. Lentement, de son côté, la grotte s'obstine à s'effacer, digérée par les bactéries et les champignons.

Après tout est-ce si grave ? Y a-t-il un intérêt à ensevelir définitivement une œuvre dans un sanctuaire exclusivement réservé au plaisir d'un roitelet d'opérette et de quelques scientifiques intronisés ?
Un jour, une convulsion de la Terre emportera l'ensemble, avec les thermomètres, les hygromètres, les sismomètres et les anémomètres.

Mise à jour du 8.09.2020 : Les études archéologiques datent aujourd'hui les peintures de 21 000 à 21 500 ans avant le présent.
 
 
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1. « Le brave néandertalien avait parfaitement compris qu'ici c'était plus tempéré qu'ailleurs... qu'il y faisait bon vivre » (discours des Eyzies au pôle international de la préhistoire, 12.09.2010). Attribuer ainsi les peintures de Lascaux à des néandertaliens hédonistes, alors qu'aujourd'hui la science les dit peintes dans une période glaciaire, habitée par des Homo sapiens frigorifiés et seule espèce humaine survivante ! Mais le Roi de la France peut très bien avoir un avis personnel sur ces questions, les manuels scolaires en tiendront compte.
2. Lascaux 1 est désormais, depuis 1963, une propriété de l'État français, les autres Lascaux appartiennent à des entreprises privées, au Conseil général de la Dordogne ou à des collectivités locales concurrentes.
Il est difficile de trouver des informations unanimes sur le sujet de Lascaux et de ses clones, notamment depuis que la gestion de la France est mise en cause. Les contradictions sont fréquentes. Il est donc possible, malgré les efforts de documentation, que certaines affirmations de cette chronique soient inexactes.

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