dimanche 14 avril 2024

Ce monde est disparu (12)

Francis Silva, Lever de soleil à Tappan Zee (Vente Sotheby's 3.12.2008, résultat : 2 570 000$

Francis Silva est un peintre américain qui embarrasse les critiques et les maisons de vente qui ne savent pas que dire de lui. Il a laissé peu de traces autres que ses tableaux.


Plus ou moins autodidacte, il n'a pas été impressionné par les courants de peinture de son temps. Il sillonnait, pour y trouver ses motifs, la côte nord-est des États-Unis, de Cape Ann, près de Gloucester - où il a peut-être vu des toiles de Fitz Lane qui venait d’y mourir - à Long Branch, au sud de New York, où il mourut à son tour en 1886. 

Seule période de sa vie un peu documentée, on sait qu’il s’était enrôlé dans l’infanterie contre les sudistes dans la guerre de sécession de 1861 à 1865, et avait participé à des évènements relatés dans les livres d’histoire, si bien que les commentateurs espéraient des tableaux héroïques, des illustrations de première main pour une biographie exemplaire. Hélas après la guerre civile Silva n’a peint que des paysages marins calmes, limpides, horizontaux. Parfois les restes d’une épave étaient poussés mollement par la marée, rien de plus.

Alors on trouve dans les essais sur Silva des avertissements du genre "il n’existe aucune preuve que Silva ait eu des conceptions luministes de son art", suivis évidemment d'un long chapitre, justement, sur le luminisme dans la peinture de l’école de l’Hudson river (les métiers de la plume sont souvent payés au nombre de caractères). 


Parmi les 110 chefs-d'œuvre de la peinture américaine de 1760 à 1910 exposés à Paris en 1984 - les États-Unis s’étaient séparés pendant 6 mois de leurs principaux chefs-d’œuvre - imaginez l’impensable, le Louvre prêtant simultanément ses plus beaux La Tour, Chardin, Ingres, Watteau - parmi ces 110 chefs-d’œuvre américains donc, il n’y avait pas de tableau de Silva.

C’était il y a 40 ans. Aujourd’hui Silva reste peu connu, et moyennement apprécié, comme dans l’essai cité plus haut où on le dit "artiste charmant mais dépassé… un peintre qui exploitait ses talents au mieux de ses capacités… et même s’il ne rejoindra jamais les anciens, il témoigne de notre époque démocratique". Pour le dire autrement, il a fait de son mieux, il est au moins la preuve que dans notre pays on peut venir de rien et parvenir à faire l'objet d'une étude verbeuse de 41191 caractères dont 6901 invisibles.

Ça n’est pas très charitable. Il est vrai qu’on peut finir par s’ennuyer devant trop de Silva.


Cependant sa cote grimpe doucement, et atteint parfois des sommets - voir le commentaire de notre illustration d'entête - mais reste très disparate, comme le montrent les enchères récentes illustrées sans ordre ci-dessous, de gauche à droite et de haut en bas.

1. Octobre sur l'HudsonChristie's 22.05.2014, 941 000$
2. La plage de Long Branch - Christie's 18.01.2024, 78 000$
3. Octobre sur l'Hudson - Sotheby's 3.12.2008, Invendu
4. L'Hudson, au loin les Catskills - Sotheby's 19.04.2023, 254 000$
5. Sur la North River - Sotheby's 19.01.2024, Invendu
6. Cape Ann - Sotheby's 19.01.2024, Invendu

vendredi 5 avril 2024

Mais où était le peintre ? (6)

Dans le catalogue de l’exposition de peintures de la Royal Academy de 1833, page 23, sous le titre du tableau n°462, "Mouth of the Seine, Quille-Bœuf", l’auteur, William Turner, écrit :
"Cet estuaire est si dangereux à cause de ses sables mouvants, que tout navire qui touche les fonds est susceptible d'être échoué et submergé par la marée montante, qui s'y précipite en une seule vague. Cette vague est connue localement sous le nom de Mascaret ou Barre".


Dans la série "Où était le peintre" (qui n’était qu’un mot-clef et devient une série), examinons aujourd'hui l’opus 6, un des plus spectaculaires tableaux de William Turner, un paysage fluvial et dramatique exposé de nos jours à Lisbonne dans le musée de la collection Gulbenkian, l’embouchure de la Seine à Quillebeuf.


Jacques-Émile Blanche, dans ses fastidieux "Propos de peintre" affirmait que Turner au moment de mourir se serait exclamé  "Que n’aurais-je pas fait si j’avais eu cet instrument - le daguerréotype, le premier procédé photographique - à mon service !". Turner pensait peut-être, si l’anecdote est vraie, qu’il aurait ainsi économisé tout le temps passé dans ses voyages à travers l’Europe à remplir ses innombrables carnets de croquis et ses esquisses à l’aquarelle.

Mais la photographie à ses débuts, du vivant du peintre, de 1840 à 1850, exigeait un matériel lourd, lent, encombrant, impraticable sous les intempéries, et qui ne lui aurait pas permis tous ces points de vue rapportés de l’estuaire de la Seine à Quillebeuf, ses silhouettes dans les carnets et ses multiples aquarelles ou gouaches, autant d’impressions qui le conduisirent à cette grande toile de 1833.  

Impressionné et secoué par la marée montante pendant ses séances d’esquisses en bateau dans l'estuaire, le lyrique Turner en a fait une lutte mouvementée contre le courant et finalement un naufrage. Sur une bonne reproduction du tableau (celle de Google ArtsandCulture - notre illustration en taille réelle), ou en se rendant à Lisbonne, on distinguera dans les embruns à droite la hune de vigie d’un bateau qui sombre, et à gauche nombre de poissons, la pêche perdue, où se précipite le tourbillon des mouettes. 


Les âmes fétichistes et bourlingueuses qui souhaiteraient aller à Quillebeuf pour reproduire en photographie le point de vue du peintre - elles sont plus nombreuses qu’on le croit - seront désappointées, parce que la forme d'une ville change plus vite (hélas, s'exclamait Baudelaire) que le cœur d'un mortel, et que dans l'estuaire l’humain ne s’est pas gêné pour modifier le paysage plutôt que s’y adapter.


En 1829 Charles Motte graveur et éditeur parisien ouvrait une filiale à Londres et publiait, entre 1829 et 1831, Les rives de la Seine en 59 planches dessinées d’après nature par Deroy et lithographiées et éditées par Ch. Motte, magnifique édition dont une des 59 stations était QUILLEBŒUF.

Au même moment, entre 1829 et 1832, Turner (qui vivait à Londres) allait visiter les rives de la seine et y dessinait notamment sa suite sur Quillebeuf. Coïncidence ?


On constatera, comparant les vues de Deroy et Turner aux images modernes par satellite ou au sol, que le port n’est plus là. Le plan d’eau, zone de sables mouvants plus ou moins recouverte au gré des marées et limitée par le quai aux pieds du phare et de l’église, n’existe plus aujourd’hui. La berge fortifiée en pierres du modeste canal de Saint-Aubin était sans doute ce quai ensoleillé battu par le mascaret chez Turner, et toute la zone de champs et prairies qui se prolonge maintenant sur 4km vers le nord-ouest jusqu’au pont de Tancarville - donc dans le dos du spectateur - a été "conquise" depuis sur les marais et la Seine.

Mais le fleuve sommeille, et le secteur demeure inondable. 

Postscriptum : voir les informations sur le naufrage du Télémaque dans les commentaires en fin de chronique.


Reste le mystère du phare. Sur la gravure d’après Deroy, comme sur les vues de Turner, sa forme et ses dimensions ressemblent beaucoup au phare actuel, mais sa distance à l’église Notre-Dame-de-Bonport ne dépasse pas une cinquantaine de mètres (il s’élève à 12m.). Chez Turner il borne le quai de pierres d’origine (au centre de cette vue actuelle) alors qu’il se trouve aujourd'hui nettement plus loin, à 150 mètres de l’église.

Aurait-il été déplacé ? 

Le site des monuments historiques précise que l’ancien feu construit avant 1817 a été "remplacé" par le phare actuel achevé en 1862, donc pas déplacé. Et Wikipedia déclare que le phare existait en 1824 - avant le passage des artistes - et a été seulement amélioré en 1862. Licence topographique de Deroy et surtout de Turner, qui se seraient permis de rapprocher les éléments de la scène pour en accentuer l’effet dramatique ?


Remarque : dans la gravure de Motte la tour est dessinée par erreur sur le flanc sud de l'église alors qu'en réalité elle est dans le prolongement de la nef, le dessin original de Deroy étant sans doute ambigu.


En conclusion, on a parfois tort d’affirmer, après Shakespeare, que la réalité est plus riche que toutes les fictions, et on conseillera plutôt d’aller admirer la vision un peu théâtrale de Turner à Lisbonne plutôt que de risquer le voyage à Quillebeuf, car on a oublié de mentionner que quelques usines chimiques à fort risque, classées "Seveso seuil haut", dont l’énorme raffinerie Exxon-Mobil-Esso, ont trouvé les gravures de Deroy tellement romantiques qu’elles ont choisi de s’installer définitivement en face, sur l’autre rive, à Port-Jérôme-sur-Seine, à 500 mètres à peine du sujet de notre chronique.


mardi 26 mars 2024

La vie des cimetières (112)

Malaga, cimetière anglican. Sur une tombe abandonnée de longue date, l'épitaphe nous renseigne "Il n'est pas perdu, il nous a devancés". 


Où vont les morts ? Que deviennent-ils une fois rangés dans ces boites enfouies sous la terre ?

Nombreux se posent encore la question. Beaucoup ont la réponse. Pour certains, les morts vivraient à nouveau, mais dans un autre monde, un autre état du monde, une autre dimension. Pour d’autres, les cimetières ne seraient que les lieux de passage où s’effectuent les formalités de la décomposition, plus ou moins longue en fonction des capacités du sujet à résister aux bactéries et aux insectes.

Soit. On aimerait alors des preuves, des chiffres.
Dans les cas de doute toute personne sensée se tourne vers la méthode scientifique. 

Or David Elbaz est un astrophysicien qui écrit des livres de popularisation scientifique, et dans un beau livre écrit en 2021, "La plus belle ruse de la lumière", il présente, parmi les grands thèmes de la science, les chiffres de la disparition de chaque être humain.
On peut lui faire confiance, car son livre traite des questions les plus fondamentales, jugez-en à son sous-titre "Et si l'univers avait un sens…", les points de suspension suggérant qu’il en sait un bout sur la question et qu’il va nous le révéler… si on achète son livre.

Et on y apprend en effet que lorsqu’on meurt, les atomes de matière qui nous constituent, au nombre impensable de 3,6 fois 10 puissance 28 nucléons (protons ou neutrons), tous quasiment éternels, retournent dans le désordre à la nature d’où ils viennent, et participeront à la constitution d’autres organismes à venir à la surface de la Terre, dans une proportion de 10 millions de nucléons par organisme. C’est le facteur de dilution précise l’astrophysicien, sûr de ses calculs. 
Ainsi chacun de nous contiendrait 10 millions de nucléons ayant appartenu à Platon. Oui, c’est désagréable, convenons-en, mais on se consolera en pensant qu’ils sont délayés parmi les nucléons de Lucrèce, de Spinoza ou plus récemment de Clément Rosset, si ces derniers ont eu le temps de parvenir jusqu’à nous.
M. Elbaz quant à lui préfère penser aux 10 millions de nucléons hérités du corps de Cléopâtre, mais au risque de rafraichir son enthousiasme sensuel, ça ne représente jamais que le cent-mille-milliardième d’un grain de sable.

On sait par ailleurs, par l’encyclopédie Wikipedia, qu’auraient vécu approximativement 100 milliards d’être humains (sapiens) depuis les débuts de l’humanité, dont 8 milliards précisément sont encore vivants. Parmi les 92 milliards disparus, si on estime à 12 milliards - sans avoir aucune idée de la façon de les calculer - ceux en cours de décomposition dont les nucléons ne nous sont pas encore parvenus, il resterait 80 milliards d’individus parfaitement recyclés. 
Ainsi - en appliquant le taux de dilution de M. Elbaz - chacun de nous, vivants, hébergerait 10 millions de nucléons de chacun des 80 milliards d’anciens humains, soit deux cent-milliardièmes de l’ensemble de nos atomes, ou pour être plus clair environ le millième d’un grain de sable.
 
C’est vertigineux, non ?
On voulait des preuves chiffrées et la science les avait !

Le livre de M. Elbaz débute par une belle anecdote, une parabole. 
Dans les bois, l’auteur voit tomber une feuille morte qui s’immobilise soudainement dans l’air, sans atteindre le sol. On sent alors le savant attiré vers l'irrationnel, au bord de la tentation mystique. Il ne succombe pas et change seulement d’angle de vue.
La feuille était posée sur une toile d’araignée presque invisible.


Londres, aigrettes de pissenlit (dandelion) au cimetière d'Abney park. On pense fatalement aux pissenlits que les morts mangent par la racine dans la chanson de Ricet Barrier.

dimanche 17 mars 2024

Histoire sans paroles (50)

Mark Rothko, sans titre 1969, dernier tableau de la rétrospective chronologique à Paris en mars 2024. 
Dans les années 1930 Rothko peignait des scènes couvertes de formes évoquant des personnages qu’il disait mythologiques, dans les années 40 ces formes devenaient des taches floues aux teintes vives, dans les années 50 les taches se dilataient en grands aplats horizontaux aux couleurs intenses, dans les années 60 les couleurs s’assombrissaient progressivement, pour disparaitre dans une dernière série de rectangles, comme des paysages gris au ciel noir. Le peintre se suicidait en février 1970. On se demandait alors où étaient passées toutes les couleurs.

mardi 12 mars 2024

Ce monde est disparu (11)

Les principaux ingrédients indispensables à la réalisation d'un bon Magritte à 43 millions.

Impossible de ne pas comprendre, à la lecture de l'essai écrit par la maison de ventes Christie’s pour la promotion de L’ami intime de Magritte, qu'on a affaire au tableau le plus poétique de l’histoire de la peinture, et même de l’histoire de la poésie. La poésie y est invoquée 13 fois et le mystère 10 fois, ces mots flous destinés à faire croire que des idées sont profondes quand elles ne sont que creuses.

Parce que Christie’s aurait bien aimé battre tous les records. Il lui semblait que le tableau concentrait les thèmes les plus populaires de Magritte, et qu’en additionnant le nombre de ses œuvres représentant, comme dans L'ami intime, un ciel nuageux (861), un mur (533), un homme vu de dos (131), un chapeau melon (106), un verre (39) et une baguette de pain (29), on obtenait 1699, soit 87% du total des 1957 œuvres au catalogue du peintre, promesse de battre des records d’adjudication (pour mémoire Christie’s en empoche entre 15 et 30%).

Le décompte des objets dans les tableaux de Magritte provient de la base de données créée par une équipe de chercheurs canadiens déçus de n’avoir pas obtenu le droit de reproduire même de simples vignettes des tableaux dans leur étude sur l’œuvre de Magritte (nous en parlions en 2018).

L’erreur de calcul de Christie’s aura sauté aux yeux de tout spécialiste de la peinture belge, cependant la maison de ventes avait d'une certaine façon vu juste. Car L’ami intime, qui est pourtant le tableau fade d’un Magritte en manque d’inspiration et fabriquant un pastiche de lui-même, a disparu sans dispute en deux minutes contre l’enchère très respectable de 43 millions de dollars. Largement dépassé par L’Empire des lumières de 1961 du même Magritte (80M$ en 2022 chez Sotheby’s), L’ami intime entre cependant dans le cénacle convoité des 150 tableaux les plus chers de l’histoire des ventes, où il élève ainsi à 5 le nombre de Magritte, preuve de la popularité croissante des baguettes de pain et des chapeaux melons dans le monde de la spéculation.

Profitons-en pour annoncer aux amateurs de Magritte que son site officiel et médiocre vient de changer d’adresse sur internet mais qu’il est toujours aussi indigent en images. Sa biographie, curieusement tronquée, n’indique nulle part ni ailleurs sur le site la date de la mort du peintre. Geste manqué des ayants droit qui aimeraient secrètement toucher éternellement la rente des droits d’auteur ? En réalité Magritte est mort en 1967 et, selon la législation européenne d’aujourd’hui, son œuvre devrait devenir libre de droits et reproductible sans frais dans les blogs impécunieux dès le 1er janvier 2038 (à moins d’un subterfuge juridique qui le prolongerait indéfiniment, comme savent le faire maintenant les grandes marques).

mercredi 6 mars 2024

Améliorons les chefs-d’œuvre (29, Van Eyck)

Nicolas Rolin, chancelier du duc de Bourgogne, peint dans une scène religieuse traditionnelle par Jan Van Eyck vers 1440. Le panneau est présenté ici en alternance avant et après sa résurrection par les soins des restauratrices du musée du Louvre en 2023.

Qu'est-ce qui a enfin décidé le musée du Louvre à réaliser le détartrage d’un de ses tableaux les plus précieux ? 

Peut-être l’audace exemplaire de ce petit pays, la Belgique, qui s’est lancée voilà déjà 14 ans dans la restauration du trésor de l’art occidental, les 25 m² du polyptyque de l’Agneau mystique du même Van Eyck, opération qui ne sera terminée qu’en 2032, à temps pour le 600ème anniversaire de l’œuvre (ne croyez pas les dates de 2017, puis de 2026 annoncées, on en parlait déjà ici et ). 

Peut-être aussi la comparaison avec l’état de propreté des Van Eyck des autres musées, comme on peut le constater depuis que le projet CloserToVanEyck diffuse cette carte des Van Eyck du monde en très haute définition.


On avait fini par oublier que le Louvre détenait, derrière une couche de vernis crasseux sans l’avoir jamais débarbouillé en 223 ans (depuis la saisie révolutionnaire du tableau), un des chefs-d’œuvre du magicien flamand, le seul Van Eyck en France.


Maintenant restauré, le musée est sur le point d'en faire une exposition-dossier, Revoir Van Eyck, du 20 mars au 17 juin 2024 dans la salle de la Chapelle (pour mémoire, c’est ici qu’une partie de l’exposition des chefs-d’œuvre du Capodimonte a été annulée fin 2023 pour des fuites d’eau). 

Nous découvrirons donc bientôt comme neuve, si tout va bien, cette merveille que le Louvre dit ingénument "étonnament méconnue".  


Et pour "Aller plus loin" sur le sujet, comme on dit dans les articles promotionnels, eh bien il n’y a rien. 

Le catalogue de l’exposition n’est pas disponible pour l’instant. La base de donnée du musée et la boutique proposent toujours la vielle reproduction glauque avant lessivage. Aucune image sérieuse du tableau restauré n’est diffusée publiquement par le Louvre. On ne corrigera décidément jamais le plus grand musée de l’Univers, toujours fidèle à ses petites habitudes mesquines. 

La presse a droit à des reproductions acceptables des principaux prêts des musées étrangers à cette occasion, de Van Eyck la carte postale de Philadelphie, l'Annonciation de Washington, la Vierge de Francfort, et le Petrus Christus, le Bosch, le Campin, le Weyden etc, mais on ne lui a consenti qu’une copie terne et de taille réduite de l'objet de l'exposition.


Alors Ce Glob est Platpour satisfaire son innombrable lectorat gratuit, a compromis ses plus hautes relations pour produire ici discrètement une bonne reproduction du chef-d’œuvre restauré (5000 pixels, 2,5 fois les dimensions du panneau original de 62cm de large).

Elle n’a pas encore la précision de CloserToVanEyck, mais, si ce n’est pas un fake créé par l’intelligence artificielle et fourni par la mafia russe, la beauté du travail des restauratrices démontre qu’il n’est peut-être pas indispensable à un grand musée qui cherche à accumuler les chefs-d’œuvre, de dépenser en achats de fraises des fortunes qui ne lui appartiennent pas (80 à 90% des dons sont défiscalisés donc payés par le contribuable), quand il lui suffit de faire de temps en temps les vitres, les chromes et la poussière dans sa propre collection.


samedi 2 mars 2024

Rectificatif optimiste

À l’attention du lectorat le plus fidèle et le plus rapide de Ce Glob (à la louche une quinzaine - oui, tout fout le camp), la conclusion dramatique de notre dernière chronique, le 29 février, a été bouleversée par des informations parues quelques heures après sa publication et qui la contredisent. Or Gougueule ne fournit pas (à notre connaissance) de fonction d’alerte des mises à jour, sauf à modifier la date de publication des chroniques concernées, ce qui mettrait un désordre irréparable dans la belle régularité des publications de Ce Glob.
Un copieux paragraphe de mise à jour a donc été inséré en fin d’article. Pour éviter de laborieuses manipulations, nous le reproduisons plus bas ici-même. 

À l’adresse encore de ce lectorat loyal, vous trouverez en haut de la colonne de droite du Glob, dans une petite liste de fonctions élémentaires intitulée "QUE FAIRE", le choix "LIRE les mises à jour". N’hésitez pas à le solliciter de temps en temps, il affiche, classées de la plus récente à la plus ancienne, les seules chroniques qui ont fait l’objet d’une mise à jour. Les mises à jour après publication sont relativement rares, le plus souvent elles commentent le résultat d’une vente aux enchères annoncée dans la chronique. 


Rectificatif à la chronique du 29.02.2024 : Quelques heures après la publication de cette chronique, et une semaine après l'accident, l'entreprise qui a créé l'engin vient de diffuser 3 photos du moment de l'alunissage. On y distingue nettement le pied cassé dont la rupture a mis l'appareil sur le flanc. Un article de l'AFP dans Le Monde relate que malgré l'échec d'un certain nombre (non précisé) des expériences et analyses prévues et d'après un responsable de l'organisme public "[la mission] est un succès du point de vue de la NASA". 
Aucun média n'en parle pour l'instant, mais il y a de fortes probabilités pour que la boite de billes de Koons - dans une position désagréable mais espérons-le pas trop humiliante - ait conservé son intégrité et soit encore présentable à l'œil des visiteurs extraterrestres du futur. 

Ainsi, tout est bien qui finit bien, la civilisation en déroute peut poursuivre sa tentative désespérée de fuite d'une planète qu'elle a ruinée. Le moraliste Jacques Rouxel ne faisait-il pas dire à ses Shadoks "Plus ça rate, plus on a de chance que ça marche" ?

jeudi 29 février 2024

Chronique exorbitante du 29 février

Jean-Léon Gérôme - Promenade intime au clair de Lune de Louis 14 et Mme de Maintenon, 1896, 139cm. Marché de l’art, estimé 600k€, invendu en mai 2021 chez Sotheby’s.
Louis 14 est l’un des 125 élus bienfaiteurs de l'Humanité, 
aux côtés de Bowie et de Josephine Baker dans une liste que l'artiste Jeff Koons vient d'envoyer symboliquement sur la Lune. Gérôme et Koons ont tant d’affinités dans le kitch qu’il est curieux que ce dernier n’ait pas inclus Gérôme dans sa liste, qui compte pourtant Dalí et Warhol.


Aujourd’hui 29 février est le jour astronomique, le jour fictif ajouté à son calendrier par une humanité désorganisée, pour remédier aux incohérences de la mécanique céleste qui n’a jamais été capable d’ajuster la durée d’une révolution de la Terre autour du soleil à la durée de la rotation de la Terre sur elle-même, pour que les saisons arrivent toujours aux même dates. C’était pourtant la moindre des choses, sinon, à quoi bon créer ces animaux pensants garnis de jabots, pourpoints, rhingraves, bas de soie et souliers à talon qui arrondissent si bien le mollet ?

   

Par bonheur, nous dit le père Pline dans le livre 18 de son Histoire naturelle, "le dictateur César […] ramena l'année à la révolution solaire avec l'aide de Sosigène, astronome habile", et on célèbre ainsi aujourd’hui le 515ème de ces jours supplémentaires depuis la recommandation de Sosigène à César. 

Ce qui ferait pas mal de numéros de la Bougie du Sapeur, ce quotidien digne du style de l’Almanach Vermotqui ne parait que le jour bissextil, et qui inaugure aujourd’hui, dans son numéro 12 seulement, un feuilleton à épisodes, quadriennaux donc, histoire de fidéliser son lectorat.


Alors à jour astronomique, chronique astronomique.

Nous examinerons aujourd'hui un projet artistique exorbitant.  


Perdus dans la surveillance attentive de vos dépenses quotidiennes vous n’avez probablement pas remarqué que des bienfaiteurs de l’humanité, par exemple Jeff koons ou Elon Musk, œuvraient dans l’ombre pour notre salut.


Koons, rappelez-vous, c’est ce chef d’entreprise à la tête d’une usine d’une centaine d’ouvriers qui fait fortune dans le kitch et le luxe tapageur. On connait ses immenses petits chiens ou lapins en ballons chromés hors de prix (des dizaines de millions aux enchères), ses machins géants en plastique de couleur, son mariage avec une fameuse députée italienne et leurs œuvres pornographiques (Google ne les montrera que si vous ajoutez un mot magique dans la recherche), bref un artiste de notre temps.


Quant à Musk, ses bienfaits technologiques pour la planète sont connus de tous, ses milliers de satellites qui ont pris possession du ciel comme une armée de nouvelles étoiles, ses voitures électriques de plus de deux tonnes, ses expériences d’implants électroniques dans les cerveaux humains qui permettront bientôt de changer de chaine de télévision sans les mains, son pilotage hystérique des réseaux sociaux, et ses fusées monumentales qui brulent des milliers de tonnes de carburant pour livrer des pizzas sur la Lune et bientôt sur Mars.


C’est justement une fusée de Musk qui vient de propulser vers la Lune le 15 février dernier un engin commercial qui devait (voir plus bas en note* la raison de ce verbe à l'imparfait), le 23 février, déposer non loin de son pôle sud du matériel pour la NASA et un petit cube transparent de 20 centimètres pour Koons, cube contenant 125 sphères inoxydables de 2,5 centimètres de diamètre, peintes à l’imitation de phases de la Lune, appelé donc "Moon phases".  


L’ambition de Koons en faisant livrer cette boite de billes sur le sol lunaire est de "créer un site patrimonial éternel", "apporter un sens au dialogue" et "communiquer globalement aux gens que l’art peut transformer nos vies", dit-il. Ailleurs il ajoute "[c’est] une continuation et une célébration des réalisations de l’humanité au sein et au-delà de notre propre planète".

C’est bien ce qu’on avait compris. Cet homme voit loin, très loin, sa pensée flotte déjà dans le vide sidéral. Précisons qu’il a obtenu pour cela l’approbation du Gouvernement américain, propriétaire de la Lune depuis qu’il y a envoyé le pied de l'Homme en juillet 1969, comme chacun sait. 


Sur Terre, pour transformer nos vies, les mêmes 125 lunes inoxydables seront mises en vente séparément. Les prix ne sont pas publiés. Elles mesureront cette fois 40 centimètres. Près du pôle sud de chacune sera collée un petite pierre précieuse indiquant le site d’alunissage, et leur boite transparente portera gravée le nom d’une "personnalité qui a apporté une contribution considérable à travers l’histoire - Each moon phase will have the name of an individual throughout history that has made a tremendous contribution".


Là encore on mesurera la grandeur du concept en consultant la liste des 125 personnalités distinguées par l'artiste. 

À votre avis, qu’obtient-on en demandant les 125 personnalités les plus importantes de l’histoire de l’Humanité à un riche américain contemporain, d’intelligence moyenne mais débrouillard, à la culture modeste mais qui se préoccupe de ne pas vexer les communautés influentes pour ne pas porter préjudice à son bizness ?


Cette liste absurde est sur le site du projet à la page Explore. Choisissez le bouton List et classez l’ensemble dans l’ordre alphabétique (enfin, ça ne sera que l’ordre idiot anglo-saxon, celui des prénoms). 

Pour le plaisir de la consternation nous l’avons traduite en français et classée en familles plus bas en fin de chronique.


***

(*) Aux dernières nouvelles, contrairement à ce qu’annonçaient orgueilleusement comme un alunissage historique tous les médias le 23 février - la première fois qu’une entreprise privée se pose en douceur sur la Lune puisque tous les "essais privésont pour l’instant été des échecs l’engin n’a malheureusement pas aluni normalement.

Les images promises en direct des alentours n’ont pas été diffusées et l'Entreprise admet depuis le 25 février que la sonde est sur le flanc, qu’elle peut communiquer, qu’on ne sait pas encore si les instruments scientifiques de la NASA seront opérationnels, et que "la seule charge utile payante située du mauvais côté de l’atterrisseur, pointant donc vers la surface lunaire, est un projet artistique statique". Il s’agit hélas du projet de Jeff Koons. 


L'impérissable chef-d’œuvre a-t-il fini coincé dans une boite de conserve cabossée ou éparpillé comme un jet de billes sur le sol gelé dans l’obscurité quasi permanente du cratère "Malapert A", au pôle sud de notre satellite naturel, un détritus humain de plus ?

On n'aura sans doute jamais la réponse, ni les images. Aujourd'hui les médias pavoisent, Koons remercie tout le monde sur les réseaux, ses lunes "sont sur la Lune". On ne sait dans quel état. Dans quelques heures la sonde entrera dans la nuit lunaire pour deux semaines. Tout s'éteindra. La Nasa commence à chauffer ses avocats sur les détails du contrat commercial.  


Charles Malapert, savant distingué au 17ème siècle, n’était pas dans la liste des immortels contributeurs de Jeff Koons. 


Mise à jour du 29.02.2024 à 8h : Quelques heures après la publication de cette chronique, et une semaine après l'accident, l'entreprise qui a créé l'engin vient de diffuser 3 photos du moment de l'alunissage. On y distingue nettement le pied cassé dont la rupture a mis l'appareil sur le flanc. Un article de l'AFP dans Le Monde relate que malgré l'échec d'un certain nombre (non précisé) des expériences et analyses prévues et d'après un responsable de l'organisme public "[la mission] est un succès du point de vue de la NASA"

Aucun média n'en parle pour l'instant, mais il y a de fortes probabilités pour que la boite de billes de Koons - dans une position désagréable mais espérons-le pas trop humiliante - ait conservé son intégrité et soit encore présentable à l'œil des visiteurs extraterrestres du futur

Ainsi, tout est bien qui finit bien, la civilisation en déroute peut poursuivre sa tentative désespérée de fuite d'une planète qu'elle a ruinée. Le moraliste Jacques Rouxel ne disait-il pas de ses Shadoks "Plus ça rate, plus on a de chance que ça marche" ?


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Liste des personnalités immortelles d'après Jeff Koons :


▶︎ Personnalités politiques anglo-saxonnes : 7

Abraham Lincoln, Benjamin Franklin, Elizabeth 1, George Washington, Thomas Jefferson, Winston Churchill

▶︎ Personnalités politiques des autres cultures : 12

Alexander le Grand, Catherine la Grande, Cléopâtre, Genghis Khan, Jules César, Louis 14, Louis 2 (de Bavière sans doute), Mahatma Gandhi, Ménès, Napoléon Bonaparte, Nefertiti, Ramsès 2, Mansa Musa

 ▶︎ Personnages mythologiques ou légendaires : 12

Apollon, Confucius, Gautama Bouddha, Homère, Jésus, Mahavira, Moïse, Sappho, Shōtoku Taishi, Sri Krishna, Vénus, Zarathoustra

▶︎ Scientifiques : 23

Ada Lovelace, Albert Einstein, Archimède, Aristote, Cai Lun, Charles Darwin, Démocrite, Ferdinand Magellan, Galilée, Hippocrate, Hypatie, Isaac Newton, Johannes Gutenberg, Johannes Kepler, Louis Daguerre, Lucrèce, Max Planck, Nicolas Copernic, Nikola Tesla, René Descartes, Richard P. Feynman, Stephen Hawking, Thalès de Milet

▶︎ Activistes, défense des droits humains et civiques : 11

Booker T. Washington, Desmond Tutu, Florence Nightingale, Harriet Tubman, Helen Keller, Malcolm X, Maya Angelou, Rosa Parks, Sacagawea, Sojourner Truth, Susan B. Anthony

▶︎ Artistes musique, danse, cinéma : 14

Anna Pavlova, Billie Holiday, Buster Keaton, David Bowie, Elvis Presley, Etta James, Grace Kelly, Jean-Sébastien Bach, Joséphine Baker, Lucille Ball, Ludwig van Beethoven, Marilyn Monroe, Mozart, Pyotr Ilyich Tchaikovsky

▶︎ Artistes littérature : 13

Dante Alighieri, Emily Dickinson, Gabriel García Márquez, Geoffrey Chaucer, Jane Austen, Jorge Luis Borges, Machiavel, Marcel Proust, Ovide, Pétrarque, Virginia Woolf, Voltaire, William Shakespeare

▶︎ Artistes arts plastiques : 20

Andrea del Verrocchio, Andy Warhol, Apelle, Artemisia Gentileschi, Donatello, Édouard Manet, Gian Lorenzo Bernini, Léonard de Vinci, Louise Bourgeois, Mary Cassatt, Masaccio, Michel-Ange, Pablo Picasso, Peter Paul Rubens, Phidias, Praxitèle, Rembrandt, Salvador Dalí, Titien, Vincent van Gogh

▶︎ Philosophes divers et autres sportifs : 12

Amelia Earhart (traversée de l’Atlantique), Arète de Cyrene, Friedrich Nietzsche, Ileana Sonnabend (marchande de tableaux pop art), Emmanuel Kant, Mère Teresa, Muhammad Ali (Boxeur), Phryné (prostituée grecque), Platon, Socrate, Swami Vivekananda, Søren Kierkegaard

▶︎ Personnage mystérieux : 1

Atom(e) Personne ne porte ce nom sur internet, ou alors une société de vente et livraison de pièces détachée d’électroménager. Koons veut-il parler du niveau d’organisation responsable des réactions chimiques dans la matière ? 

Alors l’atome est effectivement le seul "personnage" qui ait réellement compté dans toute cette histoire.